Papyrologie à Liège
1891-1948
Jean Pierre Waltzing (1857-1929)

Jean Pierre Waltzing (1857-1929)

constitution Les liens entre l’Université de Liège et la papyrologie sont étroits et anciens. Dès 1891, le Recteur Louis Roersch (Maestricht, 1831 – Liège, 1891), professeur ordinaire à la Faculté de Philosophie et Lettres, ne se référait-il pas, dans le discours inaugural intitulé La constitution d’Athènes jusqu’à l’établissement de la démocratie, qu’il prononça à la salle académique le 13 octobre, peu avant de mourir, à une œuvre aristotélicienne exclusivement conservée sur papyrus et éditée depuis très peu de temps (1) ? Ses collègues et successeurs ne furent point en reste.

Déjà, au début du siècle, le premier en Belgique d’après ses biographes, Jean Pierre Waltzing (Frassem, près d’Arlon, 1857 – Liège, 1929), professeur ordinaire à l’Université de Liège, avait compris l’intérêt qu’offrait l’étude des papyrus pour les philologues classiques (2). Dès 1901, il avait accueilli dans Le Musée Belge, revue de philologie classique, dont il était le directeur, de nombreuses contributions relatives à la papyrologie (3) et, après s’être entouré d’une riche documentation, de 1903 à 1906, il avait commencé par faire privatim un cours de papyrologie aux étudiants en philologie classique, avant d’être chargé, par un arrêté royal du 25 mai 1906, pris sur l’avis de la Faculté, d’un cours facultatif intitulé, à sa demande, « Histoire des institutions politiques et administratives de l’Egypte romaine d’après les papyrus ».

Nicolas Hohlwein (1877-1962)

Nicolas Hohlwein (1877-1962)

Le 16 octobre 1926, il était déchargé de ce cours à sa requête, tandis que Nicolas Hohlwein (Liège, 1877 – Liège, 1962) (4), qui devait compter parmi les membres fondateurs de l’Association Internationale de Papyrologues, était autorisé à ouvrir à l’Université de Liège un cours libre de papyrologie grecque (5), qu’il donna jusqu’à son admission à l’éméritat en 1947. Comme devait l’écrire Alfred Tomsin (6), cet élève de Jean Pierre Waltzing, qui avait séjourné à Berlin, Bonn, Heidelberg, Würzburg et Paris, avait reçu « l’essentiel de sa formation des papyrologues réputés de l’époque, dont il avait suivi les cours en Allemagne et en France, en qualité de titulaire d’une bourse de voyage pendant les années 1902 et 1903 ». Nicolas Hohlwein publia de nombreux articles et plusieurs ouvrages, dont La papyrologie, bibliographie raisonnée (Louvain, 1905), L’Egypte romaine (Bruxelles, 1912), couronné par l’Académie Royale de Belgique et publié dans ses Mémoires et Le stratège du nome (s. l., s. d. [1926], plaquette reproduite dans la collection Papyrologica Bruxellensia, 9, 1969) (7). Un de ses élèves, Robert Cavenaile, devait publier à Wiesbaden, en 1956, le Corpus Papyrorum Latinarum.

1949-1970

papyrus_liegeDe 1949 à 1953, c’est Claire Préaux (Liège, 1904 – Bruxelles, 1979) (8), professeur ordinaire à l’Université Libre de Bruxelles, qui assura la suppléance du cours de papyrologie grecque à l’Université de Liège. Point n’est besoin ici de retracer la carrière prestigieuse de l’auteur des ouvrages monumentaux que sont L’économie royale des Lagides (Bruxelles, 1939) et Le monde hellénistique (I-II, Paris, 1978) (9), qui compta notamment parmi ses élèves Paul Mertens. Claire Préaux devait revenir à l’Université de Liège lors de l’année académique 1960-1961 lorsque, titulaire de la Chaire Francqui à la Faculté de Philosophie et Lettres, elle y donna un cours sur les continuités entre la Grèce classique et la Grèce hellénistique (10).

A Claire Préaux succéda Alfred Tomsin (Liège, 1899 – Liège, 1976), titulaire du cours de Papyrologie de 1953 à 1969, et des Exercices pratiques de papyrologie à partir de 1964 (11). C’est en février 1954 que Paul Mertens et Philippe Derchain firent l’acquisition au Caire de quelques fragments de papyrus pour l’Université de Liège. « Sans doute, écrivait Alfred Tomsin, ce ne sont pas encore les textes qui pourront un jour former le recueil des Papyri Leodienses ; ce ne sont que d’humbles morceaux, lacérés, usés, de lecture malaisée, mais ils constituent quand même un excellent matériel didactique. Ils fournissent des types d’écritures variées, allant du premier siècle à l’époque byzantine, la matière va de l’exemplaire de luxe, sur papyrus étonnamment mince et blanc, au papyrus incorporé dans un cartonnage, avec traces de décorations linéaires polychromes ; un papyrus a été utilisé sur les deux faces ; un d’entre eux donne un compte de blé, un autre un texte copte » (12). Ce dernier, qui conserve un texte documentaire de trois lignes peut-être daté du cinquième siècle, devait du reste être édité par Paul Mertens en 1957 (13).

cedopal04Plus tard, c’est le projet de réaliser une prosopographie de l’Egypte romaine qui conduisit Alfred Tomsin, avec l’aide d’Etienne Evrard pour les programmes, à se livrer aux premiers essais, pionniers pour l’époque, de traitement informatique des textes papyrologiques grecs, en utilisant les ressources nouvelles du Laboratoire d’analyse statistique des langues anciennes (LASLA), créé à l’Université de Liège le 19 septembre 1961 (14). Accompagné d’un appel à la collaboration internationale, ce projet fut présenté à Milan, en septembre 1965, lors du XIe Congrès de l’Association Internationale de Papyrologues, à l’issue duquel son assemblée générale approuva à l’unanimité une motion demandant la création en son sein d’une Commission chargée d’étudier l’organisation du travail mécanographique appliqué à la papyrologie (15). Trois ans plus tard, le XIIe Congrès d’Ann Arbor (Michigan) fut l’occasion de présenter un programme d’édition automatique des papyrus documentaires grecs, avec divers types d’index et un choix de concordances (16), tandis qu’était soumise aux papyrologues une plaquette intitulée Choix de papyrus grecs. Essai de traitement automatique (Liège, LASLA, 1968, 128 pp.), à laquelle avaient notamment collaboré J. Bingen, A. Tomsin, A. Bodson, J. Denooz, J.C. Dupont et Et. Evrard. En 1971, au XIIIe Congrès de Marburg, A. Tomsin et J. Denooz envisageaient la constitution d’une série de programmes généraux qui permettraient d’interroger les textes papyrologiques sur n’importe quel point particulier (17). Par la suite, les recherches se poursuivirent et donnèrent lieu à la publication de divers travaux, auxquels participèrent d’anciens élèves d’A. Tomsin (18), comme Paul Bolland, ancien Gouverneur de la Province de Liège, et Jean A. Straus, qui a écrit de nombreuses contributions sur l’esclavage dans l’Egypte gréco-romaine, dont L’achat et la vente des esclaves dans l’Egypte romaine (Munich-Leipzig, Saur, 2004 = ArchPF, Suppl. 14). Un autre de ses élèves, Joseph van Haelst, est l’auteur du Catalogue des papyrus littéraires juifs et chrétiens (Paris, 1976). Peu avant sa mort, Alfred Tomsin eut le temps de mettre la dernière main aux Berliner Leihgabe griechischer Papyri II. Aus dem Nachlass Ture Kaléns fortgeführt und in französicher Tracht herausgegeben, dont la publication fut posthume (Stockholm, 1977 = Acta Universitatis Upsaliensis. Studia Graeca Upsaliensia, 12). Du reste, ce fut Paul Mertens qui, avec l’aide d’Odette Bouquiaux-Simon et de Jean Straus, corrigea les secondes épreuves du volume et en réalisa les index.

1971-1998

cedopal03Paul Mertens fut officiellement chargé du cours de papyrologie à l’Université de Liège à partir de 1971, mais, dès 1961, il commençait à y réunir une collection unique au monde de photographies de papyrus littéraires (19). Quelques années plus tard, pour faciliter le repérage des papyrus dans la deuxième édition du catalogue de R.A. Pack, The Greek and Latin Literary Texts from Greco-Roman Egypt (Ann Arbor, 1965), il réalisait des concordances (20), à l’aide des ressources informatiques du LASLA de l’Université de Liège. Aussi se vit-il tout naturellement confier la responsabilité d’élaborer la troisième édition du Catalogue des papyrus littéraires grecs et latins lors du XIVe Congrès International de Papyrologues, à Oxford, en 1974 (21), et, lors du XVe Congrès de Bruxelles, l’Université de Liège accueillit les papyrologues pour une demi-journée, le mardi 30 août 1977.

Pour exploiter les sources papyrologiques, le séminaire de papyrologie de l’Université de Liège représentait sans nul doute le centre de recherches idéal, puisqu’avec son équipe, Paul Mertens y travaillait à la mise à jour de cet opus magnum, constituant une magnifique bibliothèque d’éditions de papyrus, de revues et de littérature connexes, élaborant ou complétant une fiche signalétique pour chaque papyrus littéraire et enrichissant continuellement les archives photographiques. C’est sur base des ressources ainsi réunies que purent être menés à bien des travaux comme ceux de Robert Halleux sur les papyrus chimiques de Leyde et de Stockholm (22), de Bruno Rochette sur les papyrus bilingues (23) et de Marie-Hélène Marganne sur les papyrus grecs de médecine (24). Cette riche documentation attira également à Liège de nombreux chercheurs belges et étrangers, parmi lesquels A. Carlini, de Pise, pour le Corpus dei papiri filosofici greci e latini (25), M. Manfredi, de Florence, pour le Corpus dei papiri greci di medicina, R. Cribiore, de New York, pour les papyrus scolaires, R. Otranto, de Bari, pour les catalogues de livres conservés sur papyrus, G. Cavallo, de Rome, pour l’histoire de l’écriture grecque, A. Blanchard, de Paris, pour les formats de rouleaux ptolémaïques, J.-L. Fournet, de Strasbourg, pour les papyrus de Dioscore d’Aphroditè, A. Wouters et G. Schepens, de Louvain, pour les suppléments aux Fragmente der Griechischen Historiker (26), L. Rafaelli, de Pise, pour les Homerica, L. Savignago, de Padoue, pour les papyrus d’Euripide, W. Brashear, de Berlin, et bien d’autres…

Depuis longtemps en fonction sans dire son nom, le Centre de Documentation de Papyrologie Littéraire, en abrégé CEDOPAL, reçut son acte de naissance officiel au sein de la Faculté de Philosophie et Lettres de l’Université de Liège le 28 juin 1990, peu avant l’admission à l’éméritat de Paul Mertens, le 1er octobre de la même année. Michel Malaise, professeur ordinaire à la Faculté de Philosophie et Lettres de l’Université de Liège, en accepta d’emblée la présidence. Placé sous la direction d’Odette Bouquiaux-Simon, il se donnait alors une quadruple mission : assurer la conservation de la documentation rassemblée et continuer à l’enrichir ; répondre aux demandes diverses des chercheurs (papyrologues, philologues, historiens, etc.) et accueillir tous ceux qu’intéresse cette bibliothèque reconstituée de l’antiquité ; préparer la nouvelle édition du Catalogue des papyrus littéraires grecs et latins, et enfin, développer les études de papyrologie, notamment par le biais de deux cours : Initiation à la papyrologie littéraire, donnée par O. Bouquiaux, et Initiation à la papyrologie documentaire, donnée par Jean A. Straus.

Dans le but d’opérer des identifications, des regroupements et des reclassements de papyrus jusque-là inédits ou non identifiés, le CEDOPAL fit alors l’acquisition du Système Ibycus Scholarly Computer, – une invention de David W. Packard -, permettant d’exploiter le CD-ROM du T(hesaurus) L(inguae) G(raecae), préparé depuis 1971 à la University of California, à Irvine, par le Professeur Theodore F. Brunner et son équipe. L’utilisation intensive de ce magnifique instrument, avec le maniement duquel Odette Bouquiaux s’était familiarisée à Pise, puis à Londres, en 1987 et 1988, lui permit nombre d’identifications nouvelles (27), dont certaines, encore inédites, sont consignées dans le fichier du Mertens-Pack3.

cedopal02D’un autre côté, la célébration du 175e anniversaire de l’Université de Liège fut l’occasion, pour la directrice du CEDOPAL, d’organiser à la Salle Marie Delcourt de la Bibliothèque générale, du 1er au 31 mars 1993, une exposition sur « Le monde des livres dans l’Antiquité classique« . Avec quelques modifications, et une traduction néerlandaise, celle-ci fut également présentée à la Bibliothèque Royale Albert Ier de Bruxelles en février-mars 1995 et à la Bibliothèque universitaire de Louvain en septembre-octobre 1996 et 2004 (28). D’autres expositions demandèrent le concours du CEDOPAL : « Du papyrus à l’ordinateur » (Pepinster, septembre 1992), « Le papier et le livre » (Visé, novembre 1996, avec une conférence de J.A. Straus intitulée « Le papyrus, papier de l’antiquité« ), « Du papyrus au livre et à Internet » (Liège, Palais des Princes-Evêques, septembre 1997), « Médecine et société en Grèce antique » (Musée Royal de Mariemont, septembre-décembre 1998) pour les papyrus grecs de médecine, et « Les Empereurs du Nil » (Tongres, Musée Gallo-romain, septembre 1999-février 2000 ; Valenciennes, Musée des Beaux-Arts, mars-juin 2000 ; Lyon, Musée de la Civilisation Gallo-Romaine, juin-novembre 2000 ; Amsterdam, Musée Allard Pierson, décembre 2000-mars 2001) pour la section « littérature » (29). Un film-video fut réalisé (Le monde des livres dans l’Antiquité classique, Liège, 1993) et une brochure éditée. Intitulée La Bibliothèque d’Alexandrie et l’histoire des textes (Liège, CEDOPAL, 1992), celle-ci reproduisait le texte d’une conférence que le Professeur Luciano Canfora avait prononcée à l’Université de Liège à l’automne 1990.