INDEX DE L'ESPRIT DES JOURNAUX | ARTICLES DE L'ESPRIT DES JOURNAUX

Travels through Holland, Flanders, Germany, etc. Voyages en Hollande, en Flandres, en Allemagne, Danemark, Suède, Laponie, Russie, Ukraine et Pologne, pendant les années 1768, 1769 et 1770

Joseph Marshall

L'ESPRIT DES JOURNAUX, Septembre 1772, Tome III, p. 104-08 [Réf. Gedhs : 720919

[p. 104] Monsieur Marshal fait des observations plus utiles qu'on n'en trouve communément dans la plupart des voyageurs. On lit avec plaisir celle que nous allons rapporter.

En Danemark, les châteaux sont construits dans l'ancien goût; ce sont des forts très massifs, hérissés de fortifications. M. le Comte de Roncellin m'invita, dit l'auteur, à son château et m'instruisit sur différents objets d'agriculture et de manufactures danoises; il en a lui-même établi plusieurs sur ses erres. «Dans tout ce que j'ai fait, me dit M. Roncellin, pour améliorer mes possessions, j'ai suivi une méthode directement opposées à celle des neuf dixième de la noblesse de ce royaume : la plupart es nobles tiennent leurs paysans dans l'abjection et l'indigence, et moi je fais ce que je puis pour les en- [p. 105] -richir; j'aime mieux leur inspirer une hardiesse mêle que de les contenir dans le dur esclavage où sont les paysans danois. Notre pouvoir sur eux est presque illimité; ils sont obligés de travailler pour leur Seigneur, eux, leurs bestiaux, etc. en sorte qu'ils n'ont presque point de moment à eux. J'ai aboli cette servitude et l'ai changée en une redevance annuelle en argent; je ne leur demande jamais des services réels. La douceur de cette situation porte mes fermiers à me faire de beaucoup meilleures conditions, parce que leur industrie leur rapporte bien au-delà de cet excédent de rente. Mes paysans sont riches ou du moins dans une honnête aisance; je les vois se marier et s'enrichir encore par une postérité nombreuse; avec la population, je vois aussi s'accroître le revenu de mes terres; et les marchés voisins que j'approvisionne en partie, augmentent mes revenus. Il n'y a point sur mes terres un seul home, qui ne gagne et pour lui et pour moi; je ne pense pas même que dans toute l'étendue de mes domaines, on trouve aucun garçon, ni aucune fille en âge d'être mariés, et qui ne le soient pas : au reste, s'ils me demandent une habitation, je me hâte de la leur donner, pour peu que j'aie de bonnes notions de leur caractère et de leur industrie : d'ailleurs, j'ai distribué à chacun d'eux une pièce de terre, et ils se croient heureux; cette petite propriété seconde les mariages, et il s'en fait plus chez moi, proportionnellement, que dans le reste de [p. 106] l'Europe. Aucun de mes sujets n'est à charge aux autres, et je n'y connais point d'ancien laboureur, qui n'ait épargné de quoi vivre tranquillement dans ses vieux jours; il y en a même plusieurs qui ont de petites métairies, et qui trouvent chez eux de quoi se passer de tout secours étrangers.»

Dans la partie septentrionale de la Suède, M. marshal vit, avec bien de la surprise, les champs de cette contrée couverts de froment, d'orge, d'avoine, de pois, de fèves, d'épeautre, &c. Il en marqua son étonnement à M. Verspot, Gentilhomme, qui lui répondit : «cette idée défavorable n'a rien qui me surprenne. On croit communément, et vos compilateurs de voyages le répètent sans cesse, que les habitants des climats froids sont obligés de vivre de la pêche, et de la chasse, parce que le sol, disent-ils, est très ingrat, et ne produit tout au plus que quelque peu d'avoine. J'ai dans ma bibliothèque une foule de volumes, où les auteurs assurent que e forment ne réussira jamais en Suède, au-delà du soixantième degré de latitude; vous voyez, par l'état même de mes champs, l'absurdité de cette opinion. Je suis persuadé que toutes les sortes de grains et de racines qui viennent dans mes terres réussiront également partout, si dans la manière de les cultiver, on s'attachait à consulter la nature du climat et du sol.»

L'hospitalité, cette vertu si rare de nos jours [p. 107] et si communes dans les siècles passés, est observée encore dans la plus grande partie de la Suède septentrionale. M. Marshal y logea chez un paysan, qui refusa obstinément de prendre l'argent qu'il lui présentait. Si je voyageais, dit-il, dans votre patrie, vous ne me refuseriez ni le couvert ni les aliments, et vous vous fâcheriez si je voulais vous payer; pourquoi donc me croyez-vous moins honnête?

La Cour de Pétersbourg, selon le Voyageur, est d'un luxe étonnant, et ce faste ruineux tourne au grand désavantage de la classe inférieure de la nation. Afin de voyageur plus agréablement, l'auteur prit le titre de Général sur la route de Pétersbourg à Moscou, et il se fit accompagner d'un postillon, d'un interprète et de deux soldats, très bien armés. Le respect des Russes pour le Militaire indique assez l'esprit du Gouvernement; mais ce qui l'indique encore mieux, c'est la conduite des soldats qui accompagnaient M. Marshal; il avait la plus grande peine à les contenir, et à les empêcher de battre les paysans russes, qui frémissaient à la moindre menace. Les paysans russes sont malheureux; ils travaillent autant qu'ils le peuvent, et tout ce qu'ils recueillent leur est presque toujours enlevé par le premier gentilhomme du voisinage, qui juge à propos de les voler et de les battre. L'Impératrice de Russie s'occupe des moyens d'extirper ces abus.

Les observations de M. Marshal sur la Hol- [p. 108] -lande, la Flandre, l'Allemagne et la Pologne, n'offrent rien qui ne soit connu.

(Journal encyclopédique)