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INDEX DE L'ESPRIT DES JOURNAUX | ARTICLES DE L'ESPRIT DES JOURNAUX
Observations sur le livre intitulé : Système de la Nature
Observations sur le livre intitulé : Système de la Nature, par M. de Castillon [Giovanni Francesco Mauro Melchior Salvemini da Castiglione], Docteur en Droit et en Philosophie, de l'Académie royale des Sciences et Belles-Lettres de Berlin, etc. des sociétés royales de Londres, de Gottingue ; de Harlem, de l'Institut de Bologne, etc. À Berlin, chez G. J. Decker, Imprimeur du Roi, in-8vo.
L'ESPRIT DES JOURNAUX, 15 juin 1773, Tome VI, Partie I, p. 65-71 [Réf. Gedhs : 730614]
Le célèbre académicien s'est propose de défendre contre le sophismes d'un auteur artificieux et subtil, la supériorité de la nature humaine, l'existence de Dieu, la vérité de la religion naturelle, et par conséquent l'excellence de la religion.
L'ouvrage est distribué en quatorze chapitres. L'auteur, pour se guider dans le dédale où son adversaire s'égare, a pris le parti d'extraire du livre qu'il attaque les questions principales, de réunir les propositions éparses qui appartiennent à chacune de ces questions, et de recueillir les preuves alléguées en faveur de chaque proposition. Il en rapporte, autant qu'il est possible, les propres paroles, et quand elles sont ambiguës, il s'efforce de deviner tous les sens dont elles sont susceptibles ; loin d'affaiblir les preuves, il les a fortifiées autant qu'il a pu. Non content de prouver directement la vérité, il détruit toutes les objections qu'on lui oppose, ce qui l'oblige quelquefois de relever des trais de peu d'importance. Mais il convenait de montrer tous les écarts, les méprises, les erreurs, les faux raisonnements de toute espèce qui se font remarquer dans le Système de la Nature. Loin de chercher, ainsi que l'auteur qu'il combat, à s'envelopper dans des expressions ambiguës et équivoques, il fixe nettement les notions des termes qu'il emploie.
Après avoir exposé quelques définitions, établi quelques principes dans le chapitre premier, il traite dans les suivants de la matière, de ses propriétés et éléments, des êtres immatériels, du mouvement en général, de ses lois, de son origine ; des propriétés de l'âme humaine et de leur origine ; de l'origine de la sensibilité physique ; de la nature de l'âme ; de l'existence de Dieu ; de l'examen des preuves de l'existence de Dieu données par Clarke, de celles qui ont été données par Descartes et Newton ; de la religion, de la morale, du suicide, etc. Partout M. de Castillon suit pas à pas son adversaire, démêle les équivoques dont il abuse, le ramène au point précis de la question, lui montre avec la plus grande évidence les paralogismes, les sophismes, les raisonnements faux ou captieux présentés avec un air de confiance tout à fait ridicule, les contradictions énormes dans lesquelles il est étonnant qu'un esprit un peu philosophe puisse tomber. C'est de quoi il importe de se convaincre par la lecture même de l'ouvrage, dont le mérite ne paraîtrait que très imparfaitement dans une analyse.
Qu'on dise après cela que le Système de la Nature est un ouvrage dangereux. Il peut l'être pour ceux qui sont incapables de suivre un raisonnement, ou qui ignorent les premiers éléments de la dialectique. Il l'est même pour ceux qui aiment et cherchent aveuglément le danger. Il ne le sera jamais pour quiconque sait penser.
L'ouvrage de M. de Castillon, où éclatent la précision, la sagacité, la sagesse, et les lumières, présente un bon modèle à suivre dans la recherche de la vérité. On fera bien de le joindre à l'Examen du matérialisme, autre bon ouvrage dans le même genre, publié par M. Bergier. Mais puisque l'occasion s'en présente, on nous permettra touchant ce dernier, une remarque sur un point important et digne d'attention.
M. Bergier établit par plusieurs preuves démonstratives que le mouvement n'est pas essentiel à la matière. Mais dans le nombre de ces preuves, nous en distinguons une qui mérite un éclaircissement. C'est la quatrième. (Ire. Part. Chap. 2. §. 2 n. 4. pag. 20). « On ne peut, dit-il, concevoir le mouvement sans une directions quelconque ; l'auteur (du Système de la Nature) en convient. Le mouvement est le passage du corps de l'un des points de l'espace à un autre point. Si le mouvement est essentiel à la matière, la direction du mouvement ne lui est pas moins essentielle : un attribut nécessaire ne renferme rien d'accidentel. Or soutiendra-t-on sérieusement qu'il est essentiel à telle molécule de matière d'être mue à droit plutôt qu'à gauche, en ligne horizontale et non en ligne perpendiculaire ? C'est du mouvement que résultent les différentes situations du corps : l'auteur l'avoue encore. Toute molécule de matière est indifférente à être située de telle ou telle manière ; donc elle est aussi indifférente à être mue selon telle ou telle direction. Il y a contradiction à prétendre que la cause est nécessaire lorsque l'effet ne l'est point. »
On voit que l'auteur conclut que le mouvement n'est pas essentiel à la matière, de ce que la matière est indifférente par la nature à telle ou telle direction de mouvement. Un attribut nécessaire ne renferme rien d'accidentel, c'est son principe, d'où il infère que, si le mouvement est un attribut nécessaire d'une molécule de matière, telle direction déterminée de mouvement ne lui est pas moins essentielle. Le principe sur lequel l'auteur s'appuie n'est pas vrai dans sa généralité, c'est ce qu'il est aisé de prouver. Une masse quelconque de matière, une livre de cire, par exemple, est certainement indifférente pour toute espèce de figure particulière, la sphérique, la cubique, prismatique, conique, pyramidale, etc. Peut-on conclure que cette masse est indifférente par sa nature pour la figure en général ? Non certainement. Est-il possible qu'elle existe sans figure ? N'est-il pas nécessaire qu'elle en ait une quelconque ? Donc la nécessité d'être figurée subsiste dans cette masse avec l'indifférence pour toute figure particulière ? Voilà donc un cas où un attribut nécessaire renferme quelque chose d'accidentel. Or, dira-t-on, n'en pourrait-il pas être du mouvement comme de la figure ? Il suffit du moins de trouver un cas, où le principe sur lequel on s'appuie soit faux, pour infirmer la conséquence qu'on veut tirer.
Quand on réfléchit sur cet objet, on découvre aisément la raison pourquoi la figure en général est nécessaire à une portion de matière, quoique chaque espèce particulière de figure lui soit accidentelle. C'est qu'une portion de matière est essentiellement finie ou bornée : et que des limites qui la circonscrivent résulte nécessairement une figure. Par conséquent on ne la peut concevoir existant sans figure ; d'où il suit que l'idée de figure en général est nécessairement renfermée dans l'idée de cette masse. Mais l'idée de fini ou borné n'exige pas telle espèce particulière de limite, ni par conséquent telle espèce déterminée de figure. Ainsi, quoique cette masse ou molécule ne puisse n'y exister ni être conçue sans quelque figure, il n'est pas nécessaire qu'elle ait celle-ci plutôt que celle-là. Elle est par sa nature également indifférente pour chacune en particulier.
Appliquons la même analyse au mouvement ; et nous verrons sans peine que le mouvement, en général, n'est pas nécessaire au solide dont nous parlons. On peut le concevoir, il peut exister sans mouvement. Donc l'idée du mouvement n'est pas renfermée nécessairement dans l'idée de ce solide. Donc il est aussi indifférent, par sa nature, pour le mouvement en général, que pour toute direction particulière de mouvement.
Mais dès qu'on le conçoit sans mouvement, on le conçoit en repos : de même qu'on le conçoit en mouvement, lorsqu'on le conçoit sans repos.
Donc il est nécessaire qu'il soit en repos, ou qu'il soit mu ; donc il est indispensablement soumis à cette alternative en général, mais et l'une et l'autre partie de l'alternative sont également indifférente et accidentelles à son égard.
Voilà donc la différence qu'il y a entre la figure et le mouvement, relativement au solide dont nous parlons. Nécessité de figure, mais indifférence pour toute espèce particulière de figure ; nécessité de mouvement ou de repos ; mais indifférence pour l'un et pour l'autre.
Or, de l'indifférence du solide pour le mouvement, on a raison de conclure son indifférence pour chaque direction particulière de mouvement ; mais de son indifférence pour chaque espèce de mouvement, on ne peut pas conclure son indifférence pour le mouvement en général, comme a fait M. Bergier. Nous espérons qu'il ne prendra pas en mauvaise part cette observation.
[Journal des Savants]
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