INDEX DE L'ESPRIT DES JOURNAUX | ARTICLES DE L'ESPRIT DES JOURNAUX

Éclaircissement sur les Patagons

L'ESPRIT DES JOURNAUX, 30 novembre 1773, Tome V, Partie II, p. 129. [Réf. Gedhs : 731117]

Voici comme M. Byron s'exprime au sujet d'une entrevue qu'il eut avec ces peuples, au détroit de Magellan : «Lorsque nous fûmes près du rivage, dit-il, nous vîmes environ 500 hommes, la plupart à cheval : tout à coup ils s'arrêtèrent en jetant de grands cris, et agitèrent dans leurs mains quelque chose de blanc ; ce qui nous fit présumer qu'ils désiraient que nous missions pied à terre : après avoir rangé mon monde sur le rivage, et défendu que personne ne quittât son poste jusqu'à nouvel ordre, je m'avançait tout seul vers ces Indiens ; mais, voyant qu'ils prenaient la fuite, je leur fis signe de m'envoyer un d'entre eux : le chef lui-même vint me joindre : sa taille, autant que j'en pus juger par la mienne, n'avait guère moins de 7 pieds : son corps était peint d'une manière affreuse ; il portait autour de ses épaules la peau d'une bête sauvage : ses yeux étaient environnés, l'un d'un cercle blanc, et l'autre d'un cercle noir : le reste de son visage offrait une multitude de raies de différentes couleurs. J'allai avec lui joindre ses compagnons, qui s'assirent au premier signe que je leur en fis. Ils étaient presque tous aussi grands que leur chef, et n'avaient d'autre vêtement que les peaux qui leur couvraient les épaules : quelques-uns néanmoins portaient une chaussure en forme de botte, armée au talon d'une pointe, qui servait d'éperon : ils étaient tous peints : les cercles qui entouraient leurs yeux n'étaient jamais l'un et l'autre de la même couleur : on en voyait de blancs et de noirs, de rouges et de noirs, de blancs et de rouges. Leurs dents étaient d'une extrême blancheur, et très bien arrangées. Une foule de vieillards chantaient quelques paroles que je ne pouvais comprendre, sur le ton le plus lugubre, et avec un air de solennité qui me fit croire qu'ils s'acquittaient d'un devoir de religion. Je vis parmi eux plusieurs femmes dont la taille était proportionnée à celle des hommes. J'en remarquai surtout une (peut-être était-ce l'épouse du chef) qui avait des bracelets de laiton, ou d'un or très pâle, et quelques grains de verre bleu entrelacés dans les deux tresses de ses cheveux, qui du sommet de la tête tombaient sur le sein. Cette femme, d'une hauteur prodigieuse, avait la figure peinte d'une manière encore plus horrible que les autres : je ne pus savoir, malgré tous mes signes, d'où elle avait tiré ses grains de colliers et ses bracelets.» M. Byron distribua à ce peuple du tabac, du ruban vert et des grains de collier jaunes et blancs. Ces présents furent récompensés par une très longue chanson, que chanta le plus vieux de la troupe. Il y a lieu de croire que c'était un de ses premiers bardes.

M. Wallis, dans son voyage en Amérique, alla voir aussi les Patagons : il mesura ceux d'entre eux qui lui parurent les plus grands : les uns avaient 6 pieds 7 pouces, d'autres, 6 pieds 5 ou 6 pouces ; leur taille la plus commune était de 5 pieds 10 pouces, à 6 pieds. Cependant, M. de Bougainville prétend que les plus petits de ces Américains ont 5 pieds 5 à 6 pouces, et les plus grands 5 pieds 9 à 10 pouces, et que si on les prend d'abord pour des géants, c'est à cause de la prodigieuse largeur de leurs épaules, et de la grosseur énorme de tous leurs membres. Que conclure de relations aussi différentes ? que les voyageurs qui les font, n'ont point vu, sans doute, les même tribus. Mais revenons à M. Wallis. «Le teint des Patagons, dit-il est couleur de cuivre : ils ont les cheveux droits et d'une extrême raideur : leur tempérament est vigoureux, et leurs os très gros, quoique leurs mains et leurs pieds soient d'une petitesse singulière. Quelques-uns d'entre eux ont un cercle rouge autour de l'œil gauche ; les autres ont les bras peints, ainsi que le visage : toutes les jeunes femmes se noircissent les paupières. Les Patagons, ajoute-t-il, ont beaucoup de goût pour la conversation : mais on avait beau leur parler espagnol, portugais, français, hollandais, etc., ils n'entendaient rien, ou, du moins, ils ne répondaient pas. Tout ce que nous pûmes distinguer dans leur langage, ce fut le mot chevow ; ils avaient, d'ailleurs, une très grande facilité à répéter les termes qu'on prononçait devant eux. Voici en quoi consistent leurs armes : ils attachent deux pierres rondes, couvertes de peau, et pesant chacune environ une livre, aux deux bouts d'une corde, longue d'environ 8 pieds : ils font tourner plusieurs fois au-dessus de leur tête une de ces pierres, et lorsqu'ils pensent qu'elle a acquis assez de force, ils laissent échapper l'autre qu'ils tiennent dans la main : ils touchent ainsi, à la distance de 15 verges, un but de la grandeur d'une pièce de 24 sols. Ils lancent cette espèce de fronde contre l'autruche et le guanico, espèce de quadrupède, de la grosseur d'un chevreuil, en sorte que les pieds de l'animal s'embarrassent dans la corde, et que le poids des pierres retardant sa marche, le chasseur a le temps de se servir de sa proie.»

(Journal Encyclopédique)