INDEX DE L'ESPRIT DES JOURNAUX | ARTICLES DE L'ESPRIT DES JOURNAUX

Observations sur la religion et quelques coutumes des Nègres

Observations sur la religion et quelques coutumes des Nègres, tirées d'une Histoire de la Jamaïque qui vient d'être publiée en Anglais [Edward Long]

L'ESPRIT DES JOURNAUX, 15 novembre 1774, Tome V, Partie I, p. 56-61 [Réf. Gedhs : 741108]

Les Nègres ont presque autant de différentes religions qu'ils ont de Divinités, et les objets de leur culte sont innombrables. Il y en a qui ont été élevés dans la croyance d'un Être Suprême : ceux-là disent que Dieu aime les blancs comme ses propres enfants, e qu'il prend plaisir à affliger les noirs de mille maux, que tout ce qu'il fait en leur faveur, c'est d'arroser la terre par des pluies, afin qu'elle leur donne des provisions, mais qu'ils sont encore plus redevables à la fertilité de leur sol qu'aux soins de la Divinité. Voici ce qu'ils croient sur leur origine. Dans le commencement, disent-ils, Dieu créa les noirs et les blancs, et s'il avait quelque supériorité, elle était plutôt du côté des noirs; Dieu leur présenta ensuite deux sortes de saveurs, de l'o et la connaissance des arts et des sciences; les noirs firent choix de l'or, pour punir leur avarice, ils furent condamnés à être éternellement les esclaves des blancs; ils sont persuadés que l'Afrique est le seul pas qui produise de l'or, et qu'il leur est impossible d'acquérir jamais la connaissance des lettres.

Les Niocas adorent le serpent, qui est une de leurs Divinités; il est aussi en grande vénération dans beaucoup d'autres États nègres, particulièrement chez les Whedahs. En 1697, un cochon qui avait été tourmenté par un de ces reptiles le tua et le mangea; les marabouts ou prêtres allèrent en forme en porter leur plaine au Roi du pays, et personne dans le conseil n'osant prendre la défense du cochon, il fut convaincu de sacrilège, et lui et toute son espèce condamnés à être massacrés dans tout le Royaume : mille guerriers choisis, armés d'épées tranchantes commencèrent cette sanglante exécution, et toute la race des cochons allait être extirpée de l'Ardali, si le Roi, qui aimait le porc, n'eût représenté fortement aux marabouts qu'ils devaient se contenter d'une vengeance qui en avait déjà détruit un si grand nombre.


De quelques-unes de leurs coutumes

Les habitants de tous les climats chauds font un grand usage des bains, et beaucoup d'animaux de ces contrées vont aussi chercher dans les rivières du soulagement à la chaleur; les Nègres apprennent à nager à leurs enfants dès l'âge le plus tendre, et les habituent par degré à rester sous l'eau pendant un temps presque incroyable; ils fixent ordinairement leurs demeures sur les bords de la mer ou des rivières pour s'épargner l'embarras d'un long chemin, tous les animaux de ces climats craignent la pluie : les Nègres cherchent aussi à s'en garantir avec un soin extrême; s'il leur arrive d'en être surpris, ils joignent leurs bras autour de leurs têtes pour s'en défendre, courent avec toute la vitesse dont ils sont capables à l'asile le plus proche, et gémissent à chaque goutte qui tombe sur eux; pour l'éviter autant qu'il est possible, ils se frottent le corps d'huile de palmier, comme les oiseaux aquatiques humectent toutes leurs plumes d'une liqueur exprimée des glandes dont la nature les a pourvus.

Leurs femmes accouchent avec peu et même point de douleur, elles n'ont pas plus besoin de sages-femmes que les femelles des orangs-outans, ou quelque autre animal sauvage : une femme accouche dans un quart d'heure, et va le même jour se baigner à la mer.

Immédiatement avant qu'elle accouche, un grand nombre d'enfants la mène à la rivière, et lui jette sur le corps toutes les ordures qui se trouvent dans son chemin, après quoi elle se lave avec le plus grand soin; sans cette cérémonie les Nègres sont persuadés que la mère, l'enfant ou l'un des parents mourra dans le temps de l'accouchement.


Leur médecine

Les principaux remèdes parmi les Nègres sont le jus de citron, le cardamum, les racines, les feuilles, l'écorce, la gomme des arbres, et environ trente herbes différentes. Ces dernières ont produit de merveilleux succès en beaucoup de cas, et ont guéri les maladies inhérentes au climat que l'art de l'Europe n'avait pu vaincre; mais les Nègres les appliquent presque toujours au hasard; car ils n'ont aucune espèce de théorie.

Esquemeling raconte que lorsqu'il était à la côte Rica, il s'amusait quelquefois à tirer des singes, et que lorsqu'il lui arrivait d'en blesser un, toute la troupe se pressait autour du blessé pour arrêter l'effusion de sang, d'autres recueillaient avec empressement de la mousse des arbres et la mettaient sur la plaie, d'autres fois ils cueillaient des herbes, qu'ils mâchaient et les appliquaient ensuite comme une espèce de cataplasme : je ne pouvais voir sans étonnement et sans admiration, ajoute Esquemeling, ces témoignages d'amour et de fidélité réciproque qu'on ne rencontre pas toujours parmi les créatures d'une espèce plus élevée.


Leur nourriture

Le maïs, l'huile de palmier et un peu de poisson pourri composent la nourriture générale du prince et de l'esclave; leur passion pour l'eau-de-vie est bien connue, ils ne laissent échapper aucune occasion d'en boire, ils aiment aussi beaucoup le vin de palmier. On ne voulait pas croire qu'ils mangeaient autrefois des hommes, quoique différents voyageurs qui en avaient été témoins nous l'eussent attesté. Le voyage de MM. Banks et Solander nous prouve que cette coutume, toute barbare et toute opposée qu'elle est à l'humanité, existe chez les nouveaux Zélandais, et on sera plus disposé à croire qu'elle a pu subsister autrefois chez les Nègres, si on observe avec attention plusieurs de leurs pratiques : nous avons vu beaucoup de Nègres de nos colonies voire le sang de leurs ennemis avec l'apparence du plaisir le plus vif. À Bénin, à Angola et dans d'autres royaumes, ils préfèrent encore aujourd'hui la chair des singes, des chiens, des reptiles, et des charognes même à celle des cochons, des moutons et des volailles sauvages dont leur pays abonde. Pourquoi douterions-nous que ce même sauvage qui mange avec tant de plaisir une cuisse de singe rôtie (cet animal si semblable à l'homme) pût trouver moins savoureuse la cuisse d'un être de son espèce? L'opinion qu'ils ont des singes, qu'ils regardent à peine comme des inférieurs, et qu'ils croient doués de talents qu'ils dissimulent par finesse, vient encore à l'appui de ces probabilités.

Ils sont très grossiers dans leurs manières et d'une horrible malpropreté dans leur repas, ils mangent par choix de la viande corrompue et remplie de vers, et ceux qui habitent les côtes de la mer sont si rapaces, qu'ils dévorent crus les boyaux des animaux. L'air malsain de quelque factorerie d'Europe a été attribué à l'abominable coutume des naturels d'exposer leur poisson au soleil jusqu'à ce qu'il soit absolument corrompu, ce qui cause une puanteur qui infecte l'atmosphère du voisinage, et quoiqu'elle soit insupportable à l'odorat d'un Européen, elle semble affecter les Nègres de la plus délicieuse tentation.

À leur repas ils déchirent la viande avec leurs ongles, et l'engloutissent avec toute la voracité des bêtes sauvages; dans le repas où ils font plus de cérémonie ils mettent tous ensemble la main au plat; quelquefois ils rejettent dedans ce qu'ils avaient mâché, ils ne font usage ni de couteaux ni de fourchettes, et s'accroupissent sur la terre pour manger.

Enfin leurs sensations sont de la plus grossière espèce; leur vue est perçante, mais peu correcte; ils manquent rarement de tirer un objet fixe, mais ils ne peuvent tirer un oiseau au vol; ils ne savent point tracer une ligne droite, ni mettre une substance de niveau avec une autre; leur ouïe est très prompte, mais leur odorat et leur goût est d'une finesse vraiment animale.

(Gazette de Littérature)