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Histoire de la Jamaïque

The History of Jamaïca, etc. Histoire de la Jamaïque, ou tableau général de l'état ancien et moderne de cette île. Avec des planches. Edward Long

L'ESPRIT DES JOURNAUX, 30 novembre 1774, Tome V, Partie II, p. 156-60 [Réf. Gedhs : 741121]

Cette histoire de la Jamaïque est assez étendue pour être complète; le tableau de son ancien état se réduit à peu de chose; nous ne connaissons guère que celui où elle était à l'arrivée des Espagnols. Christophe Colomb la découvrit en 1494; en 1502 il y revint chercher un asile contre la tempête qui avait dispersé ses vaisseaux, et fort endommagé ceux qui lui restaient; il fut contraint d'y faire un long séjour; les naturels le traitèrent d'abord avec beaucoup d'humanité; ils finirent par se lasser de nourrir des étrangers qui consommaient leurs provisions et allaient les rendre rares; les Espagnols, accoutumés à traiter les Indiens comme des êtres inférieurs à eux, et auxquels ils donnaient à peine le nom d'hommes, ne s'étaient pas fait aimer; on sait comment Colomb, réduit aux dernières extrémités, profita d'une éclipse de lune, qui devait avoir lieu le soir, pour effrayer les insulaires, et en obtenir les vivres dont lui et son monde avaient besoin. «Pour vous punir, leur dit-il, de votre inhumanité, le Dieu que j'adore va vous frapper des coups les plus terribles; dès ce soir vous verrez la lune rougir, s'obscurcir ensuite, et vous refuser enfin la lumière; ce ne sera que l'avant-coureur des malheurs qu'il vous prépare, si vous vous obstinez à nous refuser les aliments dont nous avons besoin.» L'éclipse arriva, les sauvages épouvantés se croient perdus, promettent tout, et demandent grâce; on leur annonce alors que le Ciel touché de leur repentir, s'apaise et que la lune va reparaître. La nécessité où se trouvait Colomb lui fait pardonner cette supercherie.

Ce ne fut qu'en 1509 que les Espagnols commencèrent un établissement dans la Jamaïque; ils le commencèrent par le massacre de tous les naturels; les Anglais les en chassèrent à leur tour en 1655. Penn et Venables, qui firent cette conquête, en confièrent le gouvernement au colonel d'Oyley; celui-ci sut exciter l'industrie par ses soins, ses conseils et ses exemples; son désintéressement venait à l'appui de son autorité, il gouvernait en militaire, parce que la colonie naissante qu'il avait à policer et à contenir, était composée de soldats; il ne reçut point d'autre récompense que le sentiment d'avoir bien agi. «D'Oyley était d'une bonne famille; élevé pour le Barreau, il remplit d'abord des emplois civils dans sa patrie; les guerres civiles qui s'élevèrent lui firent quitter la profession pour prendre celle des armes; attaché aux Stuarts, il servit d'abord dans leur parti; fait prisonnier par les troupes du Parlement, il s'engagea à ce dernier service. La gloire des armes, qu'il ne pouvait obtenir dans sa patrie qu'en teignant les siennes dans le sang de ses concitoyens, le détermina à chercher d'autres ennemis; il voulut être de l'expédition qu'on fit contre les Espagnols en Amérique; il ne comptait y servir que pendant un an; les circonstances le retinrent dans le nouveau monde, jusqu'à la restauration; il sollicita auprès de Cromwell le gouvernement de la Jamaïque qu'il avait mérité par ses actions; le Protecteur le lui refusa toujours, parce qu'il se défiait de ses principes politiques. Cependant d'Oyley en fit les fonctions longtemps; il prit la conduite de l'administration après la mort de Sedgewike, et de Brayne. On peut remarquer comme une singularité que ce fut l'homme le mieux en état de gouverner, que la défiance de Cromwell refusait d'employer; que malgré ses refus, ce même homme gouverna, et que c'est par ses soins que les Anglais s'affermirent et se maintinrent dans leur conquête.»

On lira avec plaisir dans cette histoire tout ce qui regarde l'administration civile; elle offre quelques détails bien singuliers, qui prouvent que partout les gens de loi sont avides, et qu'ils vexent le malheureux qui n'a pas moins besoin de justice que de pitié. En 1764 un Moses Buzaglo devait 504 liv. sterl. à un Rachel Azavedo; on lui accorda un délai jusqu'en 1765 pour payer, et à défaut, on devait saisir et vendre ses biens; il ne se trouva pas en état de satisfaire au terme fixé; son créancier lui en accorda un nouveau, et en instruisit l'officier de justice chargé de l'exécution; celui-ci vint trouver le débiteur, et exigea qu'il lui payât 15 liv. sterl. somme qu'il aurait gagnée si l'exécution avait eu lieu. L'année suivante, Buzaglo se trouvant dans la même impuissance, obtint la même pitié d'Azavedo, et fut rançonné par l'officier de la justice qui le fit payer encore; la même scène se répéta plusieurs fois, et il paya en frais la moitié de la somme à laquelle montait sa dette. Cet emploi de justice, nous dirions volontiers d'injustice, dépend d'un officier patenté; il ne l'exerce pas; il l'abandonne à un commis, ainsi que le produit, à la charge qu'il lui paiera 1000 liv. sterl. tous les ans; ce commis, après avoir fait ses fonctions pendant trois ou quatre années, revient en Angleterre avec des richesses, dont il achète des terres; avant son départ, il a cédé sa commission à un autre, qui payant les 1000 liv. serl. au patenté, lui en paie encore autant. Au bout de quelques années, ce sous commis fait comme le commettant; l'emploi passe de main en main; celui qui l'exerce le dernier est toujours fort chargé, et n'a d'autre vue que celle de gagner assez pour satisfaire l'avidité des commettants et la sienne. S'il y a des objets qui ont besoin de réforme, assurément celui-ci est le premier qui en devrait subir une.