INDEX DE L'ESPRIT DES JOURNAUX | ARTICLES DE L'ESPRIT DES JOURNAUX

Épître. À Monsieur Dorat

Bernard de Bonnard

L'ESPRIT DES JOURNAUX, 1775, Tome VIII, p. 251-53 [Réf. Gedhs : 750833]

Sincère ami, parjure amant,
Poète aimable, homme charmant;
Ne crains pas que je les oublie,
Ces moments heureux, mais trop court,
Où nous parlions philosophie
Après avoir parlé d'amours.
Que du moins ta correspondance
Supplée à ton doux entretien!
Console-moi de ton absence,
En versant ton cœur dans le mien.
Causons en toute confiance;
Cher fripon, ne me cache rien.
Que fais-tu de tes cinq maîtresses?
Les gardes-tu? les sers-tu bien?
Leurs querelles et leurs caresses
Ont-elles brisé ton lien?
Non, je le vois : tu t'en amuses.
À plaisir tourmentant leurs cœurs,
Par jour tu leur fais cent noirceurs,
Et tu n'es fidèle qu'aux Muses.
Ma foi! tu prends le bon parti.
Je crois tes Maîtresses fort belles :
Mais les Muses le sont comme elle,
Et tu n'en seras point trahi.
Sois leur amant, sois leur ami.
Que tes vers, dictés par les Grâces,
Soient applaudi par les Amours!
Vois naître en tout temps sur tes traces,
Des roses qui vivront toujours;
Que ta plume aimable et chérie,
Peigne, en se jouant, nos travers :
Sois à jamais, pour la patrie,
Le dieu fêté des jolis verts.
Domptant rivaux et beauté fière,
Variant ton rapide essor,
En débutant dans la carrière;
Tu la parcourais sans effort.
Vainqueur modeste et fait pour plaire,
De concert avec les neuf Sœurs,
Les ris badins ornaient de fleurs,
Ta casaque de Mousquetaire.
Les ans n'ont point changé ton sort :
Sur le Parnasse et dans Cythère,
Tu seras bien longtemps encor,
Général de troupe légère :
Honorable et brillant emploi,
Pour qui l'on n'a donné qu'à toi,
La survivance de Voltaire.
Nous tous, faiseurs de Madrigaux,
De Stance, Épître familière,
Tes soldats et non tes égaux,
Marchons gaiement sous la bannière,
En répétant tes vers nouveaux.
Le plaisir! c'est ton cri de guerre.
Si nous portons à nos chapeaux,
Quelques brins de myrte et de lierre,
Symbole et prix de nos travaux,
Toi, notre chef, notre héros,
Tu portes la couronne entière.