Longtemps méconnue, parfois délibérément parce que sa présence choquait les idées reçues depuis Winckelmann sur la sculpture antique, la polychromie fait depuis une vingtaine d’année l’objet d’importants programmes de recherche, adressés surtout à démontrer sa présence en s’interrogeant moins sur sa signification religieuse et socio-politique.

Le projet PolyCRomA : the Meaning of Colour in African Roman Statues (MC-IF 896000) porté par Elisabetta Neri, sous la supervision de David Strivay, vise à étudier la couleur comme medium de communication de la société qu’il a produite.

Avec un protocole qui intègre analyses physico-chimiques sur les couches peintes conservées sur les sculptures, analyse formelle et contextuelle des sculptures et examen des sources écrites et iconographiques qui les représentent, le projet  vise à mettre en évidence les caractéristiques techniques et les enjeux sociétaires de la polychromie de la sculpture romaine de l’Afrique proconsulaire, à partir de l’étude de la collection du Musée du Bardo (Tunis).

L’Afrique proconsulaire offre un terrain privilégié pour la richesse des vestiges matériels, jamais étudiés, et sources textuelles et iconographiques qui interprètent leur signification.

Le projet se structure en trois axes :

AXE 1 – La matérialité de la couleur
AXE 2 – La signification socio-religieuse de la couleur
AXE 3 – La perception de la couleur

AXE 1 – LA MATÉRIALITÉ DES COULEURS

Les traces matérielles de la couleur sur les statues sont souvent très faibles et nécessitent un protocole de documentation qui comporte plusieurs méthode d’analyses physico-chimiques (MI, UV et VIL, OM, XRF, SEM/EDX, hyperspectral imaging, FT-IR, TOF-SIMS) pour intégrer ce qui est visible à l’œil nu, connaitre la palette de l’artiste, la nature de pigments, leurs provenances, les recettes et les techniques d’application, les restaurations.

Cela permet de proposer des restitutions dans le respect des vestiges documentés et de s’interroger sur les problématiques des ateliers (locaux et/ou des principaux centre de l’empire) et la circulation des œuvres d’art.

Où, quand et comment venait réalisée la peinture sur les statues ? En quoi le contexte de réception  des statues influençait la réalisation de la coloration ?

AXE 2 – LA SIGNIFICATION SOCIO-RELIGIEUSE DE LA COULEUR

Dans les provinces, les statues des dieux et des hommes représentent le dialogue permanent entre Romains et pérégrins, marqué par une réciprocité des échanges et des emprunts. La diffusion des images des divinités du panthéon romain, de l’empereur et des dieux, constitue une forme d’assimilation de la culture romaine dans les provinces.

A travers quelle couleur s’expriment le pouvoir et la hiérarchie sociale ? Quel message véhicule la couleur dans les phénomènes d’interpretatio religieuse ? Qui a droit et accès à certains codes chromatiques ?

AXE 3 – LA PERCEPTION DE LA COULEUR

La couleur est une rencontre entre matière et perception. Ce troisième axe vise donc à comparer la matérialité objective documentée dans le premier axe et les sources écrites et iconographiques qui représentent comment  les couleurs étaient perçues.  Enfin, la conception esthétique de la couleur, établie théoriquement dans les théories sur la vue, sera examinée car elle influence la genèse du processus artistique en dialogue avec la culture romaine, établie par la société, qui donne du sens aux couleurs et conditionne leur perception.

L’évaluation globale des données, organisées dans une base des données, permettra de tirer des conclusions plus larges. D’un côté on s’interrogera sur les techniques artistiques et plus particulièrement encore sur les rapport entre peinture sur support bi-dimensionnel ou tri-dimensionnel, ainsi que sur la fonction médiatique de la couleur en relation à l’image ; de l’autre sur la façon de se représenter des élites civiques, sur l’introduction des cultes et leur réception, ainsi que la « romanisation » des provinces occidentales. Non seulement les couleurs du paysage statuaire et monumental de l’Antiquité seront mises en évidence, mais aussi leur réception à l’époque chrétienne et l’impact que leur effacement a eu dans notre conception actuelle de l’Antiquité.

ÉQUIPE INTERDISCIPLINAIRE

Directeur du projet : Elisabetta Neri

Promoteur : David Strivay (ULiège)

Archéologues : Francois Baratte (pr. émérite Paris-Sorbonne), Fathi Bejoui (dr émerite, INP-Tunis), Nesrine Nsar (cr, INP-Tunis), Fatma Nait Yghil (Musée du Bardo-Tunis), Thomas Morard (ULiège)

Physiciens : Philippe Walter (CNRS, LAMS-Paris), Laurence de Viguerie (CNRS, LAMS-Paris),  Alain Brunelle (CNRS, LAMS-Paris), Matthias Alfeld, Caroline de Bouvier (CNRS, LAMS-Paris), Defeyt Catherine (ULiège)

Historien de la religion romaine : Yann Berthelet (ULiège)

BIBLIOGRAPHIE

E. Neri, N. Kopczinski, F. Béjaoui et F. Baratte, « Portraits romains dorés de l’odéon de Carthage », in 10th International Round Table on Polychromy in Ancient Sculpture and Architecture (Berlin, 10-13 novembre 2020), à paraître.

E. Neri, L. de Viguerie, C. Bouvier, A. Brunelle, F. Béjaoui et F. Baratte, « The Polychromy and Wax Finishing of an Imperial Colossal Statue from Thougga in the Bardo Collection (Tunisia) », in 10th International Round Table on Polychromy in Ancient Sculpture and Architecture (Berlin, 10-13 novembre 2020),  à paraître.

E. Neri et Fr. Baratte, « Une statue à l’héroïque de militaire : l’Hadrien controversé de l’Odéon de Carthage », in IIIe Rencontres autour de la sculpture romaine (Arles, 8-9 novembre 2019), sous presse.

E. Neri, « Les couleurs des portraits de la collection du Musée du Bardo », in Fr. Baratte, F. Béjaoui et N. de Chaisemartin (éd.), Catalogue des statues du Musée du Bardo I. Les portraits, sous presse.

N. Kopczynski, L. de Viguerie, E. Neri, N. Nasr, Ph. Walter, F. Bejaoui et F. Baratte, « Polychromy in Africa Proconsularis. Investigating Roman Statues Using X-Ray Fluorescence Spectroscopy », Antiquity 91/355 (2017), p. 139-154.