Présentation

Objectifs scientifiques et philosophie du programme de recherche

L’objectif du programme de recherche Cultures du Spectacle Baroque entre Italie et anciens Pays-Bas a été de proposer une réflexion renouvelée sur la fête baroque, en s’intéressant tout particulièrement aux effets produits par ce type de manifestation spectaculaire et dont témoignent les relations. En effet, si les recherches menées sur la culture du spectacle ont surtout eu tendance à privilégier une lecture symbolique du message politico-religieux véhiculé par ces festivités éphémères, une moindre attention a été portée à l’expérience du spectateur, invité à se plonger dans une expérience hyper-sensible souvent stupéfiante. Les recherches menées dans le cadre de ce projet ont mis en évidence que l’intensification de l’expérience par des dispositifs et des médiums variés accroit l’efficacité du message que ces festivités veulent transmettre. Les relations de fête elles-mêmes relèvent de ces mediums : en effet, elles sont à la fois des programmes qui aident à comprendre l’événement, des témoignages qui servent à se le remémorer et des reconstitutions qui renouvellent les effets de la fête chez le lecteur. Une des conclusions du projet est donc que la fête baroque se comprend tout autant si pas plus dans ses effets, programmés et/ou vécus, que dans ses messages, dans ce qu’elle produit plutôt que dans ce qu’elle dit. Cette dimension performative se trouve éclairée grâce à une étude non seulement des dispositifs mais plus encore des mécanismes et des médiations qui favorisent cette expérience, ainsi que des processus mis en œuvre, et de la manière dont ceux-ci métamorphosent les acteurs, les espaces, les objets et les temps.

En vue d’appréhender les effets recherchés et produits, les dispositifs qui les rendent possible, et les processus de transformation qui semblent pouvoir caractériser le spectaculaire, plusieurs pistes de réflexion ont été envisagées : les opérations de cadrage et de reconfiguration des frontières entre les différents médiums convoqués, entre nature et artifice, entre réalité et fiction, entre effet de présence et de distance suscités par la métamorphose spectaculaire ; les phénomènes d’hybridité, les mouvements, les passages, les changements d’identité, de genre ou d’état en envisageant toute la palette des émotions engagées à des fins de persuasion ou d’édification, cela afin d’en comprendre les enjeux au sein d’un contexte politique et/ou religieux.

Mais il fallait encore tenir de compte de la façon dont tous ces processus et effets sont fondamentalement construits par les relations de ces fêtes. Si on peut appréhender le spectacle baroque comme un ensemble de faits dont on peut reconstituer les formes et les enjeux, les dispositifs et les actions, et cela de manière à approcher au plus près de cette réalité polymorphe, polysémique et polysensorielle qu’est la fête baroque, il convient en effet de rester attentif à la nature des documents, textuels et visuels, qui nous permettent précisément d’approcher ces réalités, mais qui en proposent à vrai dire une représentation idéalisée, voire, dans certains cas, une recréation. Loin d’être de simples reportages, ils construisent une nouvelle réception en spectacularisant ce qui est déjà par nature spectaculaire. Une autre hypothèse a ainsi été testée, hypothèse selon laquelle ce qui rend un spectacle spectaculaire est sa médiatisation.

Les stratégies rhétoriques, textuelles et visuelles de spectacularisation ont ainsi été étudiées à travers un corpus spécifique, celui des fêtes de canonisation d’Ignace de Loyola orchestrées en 1622 par les jésuites dans toute la chrétienté, corpus ici valorisé de manière inédite sous la forme d’une base de données rassemblant les relations des fêtes qui se sont déroulées dans les anciens Pays-Bas, en Italie, en France et au Portugal.

La double canonisation d’Ignace de Loyola et François-Xavier

Ignace de Loyola meurt à Rome en 1556. Rapidement naît le projet, plusieurs fois reformulé, de demander sa canonisation. La Compagnie de Jésus ne peut cependant faire la preuve de signes extérieurs de sa sainteté, et singulièrement de miracles : elle hésite donc longtemps à porter la cause devant le Saint-Siège. Lors de sa congrégation générale de 1593, toutefois, les derniers témoins à avoir connu son fondateur étant en train de disparaître, l’ordre finit par franchir le pas. Pourtant, le tombeau d’Ignace accueille peu de dévots tandis que les miracles se font toujours attendre. La Compagnie doit alors s’employer à faire du tombeau le lieu de guérisons miraculeuses, en excitant ainsi la dévotion et en en assurant le succès. Cette opération permet à l’ordre d’obtenir en 1609 la béatification, étape préalable à la canonisation récemment mise en place par le Saint-Siège. Pour l’occasion, les jésuites organisent dans les villes où ils sont installés d’importantes célébrations, parfois très spectaculaires, pour lesquelles ils conçoivent batailles navales, chars de triomphe, théâtres historiés… À Bruxelles, du vin coule pendant plusieurs heures des blessures d’un Christ en croix.

Si ce faste ne plait guère à Rome où l’on dénonce les exagérations et les excès de jésuites arrogants envers une figure dont la sainteté n’est pas encore pleinement reconnue, il est l’occasion d’éprouver des dispositifs que les pères remploient une décennie plus tard, lorsqu’est proclamée à Rome, en mars 1622, la canonisation d’Ignace de Loyola, en même temps que celle de François-Xavier (béatifié en 1619) ainsi celle de Thérèse d’Avila, Philippe Néri et Isidore de Séville. Durant l’été et le printemps de 1622, et parfois même jusqu’en 1623, collèges et maisons jésuites dispersés dans le monde entier répercutent en effet la nouvelle selon des modalités festives particulièrement remarquables. Tel un séisme planétaire, la puissance du message ainsi que l’énergie spectaculaire dégagée de ces festivités se caractérisent par leur exceptionnelle intensité. Maîtres de la parole, prêcheurs habitués à conquérir les auditoires et séduire les âmes ainsi que fin interprètes des enjeux politiques locaux, les jésuites soignent la spectacularité de ces célébrations et s’offrent ainsi l’occasion de promouvoir le culte de leurs premiers saints et de consolider l’installation de l’ordre dans des contextes les plus divers.

La base de données

La base de données rassemble un vaste ensemble de relations imprimées et/ou manuscrites des fêtes de canonisation d’Ignace de Loyola et François Xavier de 1622, couvrant les territoires des anciens Pays-Bas, de l’Italie, de la France et du Portugal. Ces espaces ont été privilégiés parce que ces relations ne sont pas (ou très peu) accessibles en ligne. L’utilisateur trouvera, pour chacune de ces relations :

  • une reproduction photographique du document original, le plus souvent accompagnée d’une transcription, voire d’une traduction en français ;
  • une brève description bibliographique du document original ;
  • une structuration de la relation en fonction des temps, des actions et des apparati de la fête.

Plusieurs outils sont à disposition de l’internaute pour explorer la base de données :

  • une liste des fêtes permet de feuilleter les relations numérisées,
  • un moteur de recherche permet d’interroger les textes et de visualiser les gravures qui accompagnent les livres,
  • un index multilingue et thématique de la fête baroque.

Cette base de données est complétée d’une carte googlemaps qui permet de localiser l’ensemble des festivités organisées par les jésuites pour la double canonisation à travers le monde et dont nous conservons des relations écrites : cette carte permet ainsi d’accéder à toutes les relations déjà numérisées ailleurs que dans notre base de données.

Pour plus de détails sur le fonctionnement de la base de données et de l’outil de recherche, voir Mode d’emploi.

L’index de la fête baroque

Un index de la fête baroque, comportant pas moins de 870 entrées, accompagne cette base de données. Constitué à partir des textes encodés dans la base de données, ce lexique permet au chercheur de trouver les correspondances des termes en latin, français, italien, portugais. Il résulte par ailleurs d’une sélection de termes correspondant à la grille d’analyse développée dans le cadre de ce projet (dispositifs, actions, moyens et fins).

L’exposition virtuelle

L’exposition virtuelle portant sur les grands axes du projet permet aux chercheurs mais aussi aux curieux de se familiariser avec ces principales dimensions de la fête. Cette exposition divisée en 3 salles (Spectacle, Spectaculaire et Spectateur) comporte près de 175 images de la fête (essentiellement des gravures) accompagnées de brefs textes explicatifs.

Les personnes

Direction : Ralph Dekoninck (UCL / GEMCA)
Direction : Annick Delfosse (ULiège / Transitions)
Direction : Maarten Delbeke (UGent)
Direction : Koen Vermeir (KUL / CNRS)

Post-Doc : Rosa De Marco (ULiège / Transitions)
Post-Doc : Grégory Ems (UCL)
Post-Doc : Caroline Heering (UCL / GEMCA)
Post-Doc : Pedro Germano Leal (University of Glasgow)
Post-Doc : Minou Schraven
Post-Doc : Alessandro Serra

Doctorant : Vincenzo Paudice (UCL)
Doctorant : Laurent Grailet (ULiège)