Project Description

COLLOQUE INTERNATIONAL (Liège, 20-22 juin 2018)

Le congrès est consacré à la figure du pape entre passé et présent.

Le pape est l’évêque de Rome, le vicarius Christi, le successeur du prince des apôtres, le serviteur des serviteurs de Dieu, le souverain pontife de l’Eglise universelle, mais aussi le primat d’Italie et le souverain de la Cité du Vatican. Dans ces titres, énumérés par l’Annuaire pontifical 2017, on trouve condensés les résultats d’années de réflexion (pas toujours pacifiques) sur le rapport dialectique entre pouvoir spirituel et pouvoir temporel. Au travers des écrits, des images, des actes politiques et des gestes liturgiques, le pape, depuis le Moyen Age jusqu’à aujourd’hui, exprime le sens de sa mission terrestre qui, entre innovation et conservatisme, l’amène à être une personnalité politique et une autorité religieuse sans équivalent dans d’autres religions.

La situation actuelle est extraordinaire : deux papes coexistent, l’un émérite, qui abdiqua en 2013, et l’autre encore en charge. En 2013, la renonciation de Benoît XVI fut la première de l’histoire contemporaine, plus de sept cents ans après la plus célèbre des abdications médiévales – celle de Célestin V en 1294. Nous avons aussi été témoins de la canonisation de deux papes (Jean XXIII et Jean Paul II, 2014) et de la promulgation de deux jubilés (le jubilé ordinaire de 2000, et un jubilé extraordinaire en 2015 sous le signe de la Miséricorde). Les sciences humaines sont appelées à essayer d’expliquer le sens de ces événements qui, à défaut, pourraient être perçus comme des inventions modernes et non comme des processus profondément ancrés dans l’Histoire.

Privilégiant l’approche multidisciplinaire, le colloque aborde différents domaines de recherches, à commencer par l’Histoire de l’art, au sens large, englobant la photographie et la critique cinématographique et théâtrale. La chronologie envisagée se veut aussi large que possible, embrassant les périodes médiévale, moderne et contemporaine. Les communications portent sur l’iconographie du pape, qu’il s’agisse d’images idéalisées ou diffamatoires, historiques ou imaginaires. Une attention particulière est accordée aux productions iconographiques qui peuvent être mises en relation avec les connaissances relatives aux papes médiévaux, en particulier aux papes français en Avignon (1308-1378), qui, pour la première et unique fois dans l’Histoire, ont remis en cause la suprématie de Rome et ont tenté de s’en affranchir.

Des représentations canoniques sur les absides des basiliques romaines aux portraits modernes, en passant par le buste de Boniface VIII (sculpté par Arnolfo di Cambio avant la mort du pape) et les Vaticinia Pontificum, l’on s’interroge sur le rapport à la contemporanéité, comme a pu le faire Francis Bacon, en réinterprétant le célèbre portrait du pape Innocent X réalisé de la main de Diego Vélasquez (Roma, Galerie Doria-Pamphilij, 1650).

L’on s’intéresse au vêtement pontifical et à la paramentique, en tant que vecteurs de la plenitudo potestatis à laquelle prétend le pape durant le Moyen Âge. Notons à ce sujet que la tiare à trois couronnes, portée par les papes lors de certaines occasions solennelles jusqu’en 1963, est une invention tardive issue de la papauté d’Avignon. Ce couvre-chef papal qui remplace, à partir du pontificat de Clément VI (1342-1352), la tiare-diadème (symbole de la souveraineté sacerdotale) et le triregnum bonifacien, matérialise le pouvoir temporel du pape de manière théocratique. De nombreuses questions demeurent ouvertes : comment expliquer l’invention de la tiare à trois couronnes après le pontificat de Boniface VIII ? Pour quelles raisons est-elle employée aussi bien par le pape que par l’anti-pape, durant le Schisme d’Occident ? Pourquoi son usage se maintient-il jusqu’à l’époque contemporaine ?

La critique cinématographique est également mise à l’honneur. En effet, depuis plusieurs décennies maintenant, une intéressante réflexion sur la nature fondamentalement humaine du pape est née dans le chef de certains réalisateurs italiens. L’on pense notamment à Nanni Moretti dont le film Habemus Papam (2011) met en images, de manière presque prophétique, la fragilité d’un pape qui prend la lourde décision de renoncer à la charge pour laquelle il vient d’être élu. L’on mentionnera aussi la série télévisée The Young Pope (2016), écrite et réalisée par Paolo Sorrentino, qui raconte la difficulté du Pape Pie XIII à apparaître en public et à faire reproduire son image, « parce que son image n’existe pas ! ».

La Littérature, la Philosophie et la Théologie sont également à l’honneur. Du Moyen Âge à l’époque contemporaine, il apparaît que le pape est à la fois auteur, destinataire ou tout simplement le protagoniste des écrits qui décrivent son rôle au sein et en dehors de la Curie. Sont traitées des questions relatives à l’analyse de documents écrits qui ont, d’une manière ou d’une autre, concouru à soutenir la politique d’autoreprésentation du pape d’hier et d’aujourd’hui. Nous encourageons à ce que soient étudiées des questions jusqu’à présent peu traitées par l’historiographie, telles que la relation entre les écrits diffamatoires de certains auteurs et poètes du XIVe siècle et les ouvrages de journalistes vaticanistes contemporains. L’on signalera, à titre d’exemples, les Epistolae metricae de Pétrarque (1331-1361), qui accusaient le pape d’hérésie et d’avoir abandonné le siège naturel de la papauté, et Sua Santità. Le carte segrete di Benedetto XVI (2012), publié par Gianluigi Nuzzi, lequel est, avec d’autres auteurs, à l’origine des « scandales vatileaks ».

La Théologie est aussi un domaine de réflexion expérimental. L’étude des Cause de canonisation, envisagée une fois encore dans perspective comparative, pourrait donner lieu à des résultats critiques intéressants. À cet égard, il serait pertinent que soit menée une comparaison entre le procédé de canonisation pro gratia contemporain et le procédé de canonisation stratégique médiéval. Pour rappel, le premier est une invention contemporaine utilisée par les papes Jean-Paul II (pour le martyr chinois Augustin Zhao Rong et ses cent dix-neuf compagnons) et François (pour Jean XXIII). Quant au second, l’on peut penser, entre autres, à celui dont profita Thomas d’Aquin, promu par Jean XXII (1323) parce que, selon le théologien dominicain, les deux pouvoirs fondamentaux sont réunis dans la personne du pape.

Une place importante est réservée à l’Histoire, au Droit et à la Politique. Le pape est alors envisagé en tant que figure politique à analyser par rapport aux pouvoirs exercés, privilégiant, autant que faire se peut, une approche comparative. De cette façon, nous espérons pouvoir comprendre et de donner un sens à certaines déclarations et à certains gestes que pose le pontife. Ainsi, quand le pape François écrit l’encyclique Laudato si’ (2015), qualifiée à juste titre d’écologiste par les médias et par les organisations internationales de l’environnement les plus importantes (Greenpeace, WWF, …), il s’inscrit dans une tradition antique ininterrompue qui combine animaux et pontifes dans une relation symbolique et métaphorique exprimant une grande variété de messages, comme l’a souligné Agostino Paravicini Bagliani dans son livre Il bestiario del papa (2016). Les animaux témoignent d’une quête d’affirmation symbolique de la papauté dans son développement historique et institutionnel. Ils sont aussi des outils de critique et de délégitimation du pape et de l’Eglise. Au cours des XIVe et XVe siècle par exemple, le pape-dragon est employé dans une optique polémiste et réformatrice de l’Eglise. A contrario, il assume, du XVIe siècle au début du XVIIe siècle, une fonction de protection de la ville de Rome, mais aussi de l’Eglise.

Aussi, le colloque se propose-t-il d’explorer les différents visages du pape, en encourageant l’adoption de perspectives innovantes et le développement d’études interculturelles.

AXES DE RÉFLEXION
  • Le pape, un homme politique

  • Les pouvoirs du pape

  • Le pape, une autorité religieuse sans équivalent dans aucune religion

  • Deux papes

  • La renonciation du pape

  • Le jubilé

  • La béatification et la canonisation du pape

  • Les canonisations stratégiques et les canonisations pro gratia promus par le pape

  • Les portraits (figuratifs, littéraires, etc.) du pape : idéaux, diffamatoires, historiques ou imaginaires

  • La papauté en Avignon : une représentation du pape loin de Rome

  • Le costume du pape et sa paramentique

  • La dissociation entre la « personne physique » du pape, caduque et mortelle, et la « persona papae » (la personne institutionnelle, l’Eglise), qui est éternelle

  • La fragilité du pape-homme et l’atténuation de son identité

  • La diffamation du pape

  • Le pape animal