Jacques Izoard

Jacques Izoard occupe à coup sûr une des toutes premières places parmi les poètes belges de la seconde moitié du siècle. Né à Liège en 1936, très attaché à sa ville natale, il ne s’est jamais retranché dans ce sentiment principautaire. Ce fut en effet depuis sa jeunesse un des animateurs les plus actifs de la vie poétique de Belgique : en 40 ans, il a noué d’innombrables relations avec des poètes de tous pays ; homme de revues, il dirigea notamment la revue Odradek (1972-1979) ; enfin il fut depuis longtemps à l’écoute des jeunes poètes.

Mais c’est avant tout sa poésie qui lui donne sa place importante. Les poèmes d’Izoard paraissent influencés par un certains surréalisme d’après-guerre. Par-delà un apparent hermétisme, surtout sensible dans la première moitié de sa carrière, sa poésie, libre de tout modèle ou de toute mode, s’avère en réalité fondamentalement sensuelle, se nourrissant plus particulièrement de la vue et du toucher : l’œil et la main, les lèvres et le corps disent ce qu’ils voient et touchent, en des poèmes que leur brièveté elliptique ne coupe nullement du monde. Le lecteur de cette poésie physique laissera les mots fétiches d’Izoard lui communiquer cette perception empathique du monde sensible, moins dite qu’habitée par un langage libre et puissant.

Parmi ses recueils les plus importants (sur plus de 50), on relèvera Voix, vêtements, saccages (1971), La Patrie empaillée (1973), Vêtu, dévêtu, libre (1978, Prix Mallarmé), Corps, maisons, tumultes (1990), Le Bleu et la Poussière (1998, Prix Alain Bosquet 1999 et Prix Triennal de poésie 2001) et Dormir sept ans (2001).

En 2006 a paru, en deux volumes, le recueil exhaustif de ses œuvres écrites de 1951 à 2000 : Œuvre poétique, volume I et II, Éditions de la Différence (Prix de Poésie Louis Montalte pour l’ensemble de son œuvre).

Ses dernières publications significatives sont Thorax (2007, Phi), Lieux épars (2008, La Différence).

Jacques Izoard est décédé le 19 juillet 2008.

En novembre 2011 est paru le troisième tome de ses Œuvres complètes (2000-2008), aux mêmes éditions de La Différence.

Gérald Purnelle

La Maison de la Poésie Jacques Izoard

Dans la maison qu’habitait Jacques Izoard, rue Chevaufosse, où tant de réunions de poètes se sont tenues, où tant d’amis sont passés si souvent, se trouve encore sa très importante bibliothèque d’ouvrages et de revues. L’asbl « Maison de la Poésie Jacques Izoard » se donne pour objectif la conservation du lieu et de son précieux contenu, mais aussi la poursuite de l’action du poète dans le domaine de la promotion de la poésie et de l’écriture.

Que le poème accueille le paysage d’aujourd’hui, d’où qu’il soit, dans sa diversité, dans son chatoiement, dans sa pauvreté, dans sa simplicité, là où des hommes vivent, là où les hommes sont absents ou sont rares. Et lui restitue son intégrité native. Le poète est celui qui ouvre les yeux.

C’est par ces mots que se termine le petit texte, en prose, Petites merveilles, poings levés, lu par Jacques Izoard, en septembre 1979 au Festival européen de poésie, à Louvain.

L’idée de poursuivre cette œuvre d’externalisation de l’art littéraire, d’en faire une plante essaimant au jardin plutôt qu’une belle fleur coupée séchant derrière un double vitrage, naquit bien avant ce jour de juillet 2008 où nous piétinions, déconfits, le seuil de sa maison.

L’œuvre littéraire, et particulièrement poétique, ne sort pas, tout armée, de la cervelle de Zeus. Elle naît dans les bars, les manifestations, là où les gens parlent, s’embrassent ou se frappent. L’artiste dépend de l’émotion des autres, qu’il extrait d’eux, l’essuie et la fait crier, comme le ferait une sage-femme.

Grâce à Maria Beuken, sa compagne singulière dans l’immeuble de Chevaufosse, nous pouvons revivre ces performances-barbecue où Jacques exultait, comme Bacchus sur sa terrasse, heureux de voir et d’entendre ces jeunes gens porteurs des mots qui ouvrent ou font pleurer.

La maison de Jacques, son jardin, ses livres et son œuvre sont donc désormais affectés, par une Fondation, au double but suivant :

  • protéger et promouvoir l’œuvre de Jacques Izoard
  • défendre les lettres liégeoises et particulièrement la poésie.

En effet, si tout auteur a droit à la protection de son œuvre contre une reproduction ou une altération désinvoltes, la promotion de l’écrit reste trop souvent et longtemps en couveuse… Des forêts odorantes ou des ruisseaux lumineux croupissent enfermés dans les bibliothèques poussiéreuses. L’écrit doit être lu en public, exprimé et partagé. Notre dignité et notre fraternité futures en dépendent…

Au moment où la lecture publique semble vouloir renaître à Liège, la Maison de la Poésie Jacques Izoard veut y jouer un rôle dynamique, non seulement par l’intermédiaire d’événements qui se dérouleront sur place, mais aussi par la création d’ateliers animés par les amis de Jacques, qui épauleront Maria Beuken, la fondatrice et les membres du Conseil d’administration.

Ces ateliers se répartiront par matières et affinités. Il nous appartient à tous, de les baptiser à l’eau et l’huile des mots et des essences.

C’est dans le même esprit que la Fondation se donne pour mission de conserver la très riche bibliothèque laissée par Jacques Izoard, qui constitue un fonds d’ouvrages et de revues poétiques et littéraires inestimable, que la Fondation aura à cœur de rendre accessible aux amateurs et aux chercheurs. (Les documents liés à l’œuvre et à la vie littéraire de Jacques Izoard – manuscrits, correspondances et autres – ont été acquis par la ville de Liège et sont conservés à la Bibliothèque Ulysse Capitaine.)

Jean-Paul Brilmaker

Ce texte a été publié une première fois sur le site « Culture » de l’Université de Liège, en avril 2012.