ÖKÜZINI, TURQUIE

Fouilles de Marcel Otte

Située sur l’aire de passage entre le Levant et l’Europe, l’Anatolie reste mal connue du point de vue paléolithique en dépit de son importance cruciale géographique. Sur le plan culturel, les civilisations qui s’y développent illustrent aussi le passage des derniers chasseurs vers les agriculteurs, selon des processus encore méconnus.

Les séquences évolutives de l’Epi-paléolithique local y sont donc à la fois rares et importantes. C’est pourquoi une série de campagnes de fouilles fut organisée, par une équipe multi-disciplinaire et internationale dans le sud-ouest de l’Anatolie, aux sites de Karain et d’Öküzini. L’ensemble permet de reconstituer aujourd’hui l’évolution culturelle des dernières sociétés de chasseurs dans lesquelles l’agriculture fut introduite.

SITUATION

Près du village de Yağca, la grotte d’Öküzini dont l’ouverture est orientée au nord-ouest, s’ouvre au pied de la montagne Katran (sur la chaîne de Taurus) à la rencontre avec la plaine alluviale et à proximité d’une importante source karstique. Elle se situe à 5 m. de hauteur par rapport à la plaine précédente. La falaise dans laquelle Öküzini s’est formée, se trouve à trente deux kilomètres de la côte méditerranéenne, à la ville d’Antalya et à 1 km. au nord-est de Karain (Fig. 1).

Du point de vue morphologique, cette zone est formée de deux paysages différents: Le premier est la plaine étendue depuis les falaises côtières et se situe à 300 m. d’altitude. Elle fut surtout formée durant Miocène et le Pléistocène (Burger, 1985). Le second est constitué de la chaîne montagneuse. Géologiquement, ces montagnes sont faites de calcaire d’âge crétacé et furent soulevées durant l’orogenèse alpine. Ainsi, de nombreuses grottes furent formées au sein du massif et vers sa base en contact avec la plaine.

La grotte d’Öküzini fut constituée par la résurgence d’une ancienne rivière souterraine traversant les calcaires crétacés. Des éléments du plafond originel se sont éboulés et restent visibles aujourd’hui en une série de blocs énormes. Quelques uns de ces blocs gigentesques se trouvent devant l’entrée, tandis que d’autres furent mis au jour durant les fouilles.

La grotte elle-même se dispose selon un corridor allongé se rétrécissant à une vingtaine de mètres de l’entrée actuelle. La salle d’entrée est facilement accessible et assez bien éclairée. Elle s’ouvre en d’autre galeries (Fig. 2). En dépit de sa petite taille, cette salle où les fouilles sont réalisées, contient une longue séquence sédimentaire, très riche en vestiges d’occupation épi-paléolithiques et protohistoriques. Tout au sommet existent de faibles traces d’Age romain.

HISTORIQUE

La grotte d’Öküzini fut découverte par le professeur İ.K. Kökten lors de prospections effectuées dans le cadre de ses fouilles à la grotte de Karain, pendant les années 50. Ses fouilles consistant en un vaste sondage, débutèrent en 1956 au centre de la salle d’eutrée. Son sondage étendait sur 40 mètres carrés et possédait une profondeur de 2.52 mètres (Kökten, 1959:13). Il y mit au jour une longue séquence avec du néolithique et des ensembles paléolithiques, considérés comme “aurignaciens” (Kökten 1958, 1963) bien qu’il s’agisse en fait d’épi-paléolithique avec d’abondants microlithes. Parmi ses découvertes principales se trouvait un galet représentant une gravure d’un boeuf (Kökten, 1962:41, Pl. II.1). Il observa en outre, sur la paroi la gravure d’un outre boeuf, aujourd’hui invisible (Kökten, 1962:Pl. IV). Il réalisa toutefois un moulage de cette gravure qui fut déposé au Musée des Civilisations Anatoliennes à Ankara. Il désigna ainsi la grotte d’après ce bovidé (=Öküz en turc).

La grotte fut à nouveau visitée lors de prospection en 1984 et un abondant matériel archéologique y fut récolté dans les remblais (Yalçınkaya, 1986:432).

En 1989, une équipe dirigée par G. Albrecht de l’Université de Tübingen y réalisa le nettoyage de la coupe du fond, laissée à la suite du sondage de İ. K. Kökten. La séquence stratigraphique y fut ainsi examinée dans le but de récolter des échantillons pour paléoecologie et les datations (Albrecht et al., 1992). Ceci permet d’établir la relation avec la séquence épi-paléolithique établie à Karain B (Albrecht 1988, 1992). Ce nettoyage de coupe était limité à une largeur d’un mètre sur une profondeur variant de 20 à 50 cm. Ce fut aussi l’occasion de récolter une séquence continue d’artefacts et de restes osseux, définissant l’évolution culturelle locale.

La fouille systématique fut ensuite reprise au nom du Musée d’Antalya, par une équipe multi-disciplinaire internationale, en collaboration entre I. Yalçinkaya (Université d’Ankara) et M. Otte (Université de Liège) (Yalçınkaya et al., 1995; Otte et al., 1995). Ils y ont entrepris les fouilles des sédiments conservés intacts dans les aires latérals au sondage de Kökten. De longs profils purent ainsi y être dégagés et relevés. La séquence épi-paléolithique jusqu’à la base rocheuse et diverses sépultures néolithiques.

Treize unités géologiques furent reconnus (GH 0 à XII). Onze unités (GH II à XII) contiennent une séquence très riche d’occupations épi-paléolithiques avec une série de foyers superposés en lentilles et protégés du vent par des blocs dressés (carrés I-J 7-8, visibles dans le profil B). Les résultats des analyses inter-disciplinaires (palynologie, anthracologie, micro-morphologie, datations) ainsi que les analyses lithiques et fauniques sont présentés dans ce volume. Nous pouvons donc interprèter la nature et le changement dans l’occupation humaine à l’intérieur de son contexte environnementale au cours de l’Epi-paléolithique du sud-ouest anatolien.

INFORMATIONS COMPLÉMENTAIRES

ERAUL 96
Isin YALCINKAYA, Marcel OTTE, Janusz KOZLOWSKI & Ofer BAR-YOSEF (dir.)
La grotte d’Öküzini: évolution du Paléolithique final du Sud-Ouest de l’Anatolie
2002, 393 p.
ISBN 2-930322-41-1