Colloque

On croit pouvoir dire que le colloque «Diffusion et transferts de la modernité dans L’Esprit des journaux» (16-17 février 2009) a pleinement atteint ses objectifs, par le nombre d’orateurs présents et la qualité des communications. Dans son allocution d’ouverture, le Recteur Bernard Rentier a d’abord rappelé que la réunion faisait suite à un autre colloque international organisé en octobre 2006 par le jeune Groupe d’étude du dix-huitième siècle de l’Université de Liège. Les actes de la manifestation ont connu une édition rapide, par Françoise Tilkin, dans la Bibliothèque de la Faculté de Philosophie et Lettres de l’Université. Confiné parfois au «piratage», L’Esprit des journaux, créé à Liège en 1772, participait d’un mouvement de vulgarisation dont la philosophie n’est pas sans trouver quelques correspondance, a souligné le Recteur, avec le projet ORBi lancé à Liège afin «de se positionner en pointe du combat pour un accès ouvert et libre à l’information scientifique». A également été mis en évidence le caractère pluridisciplinaire de l’objet du colloque, où l’échange des savoirs brasse des matières telles que la médecine, l’électricité, la psychologie, les arts mécaniques ou l’agronomie, à côté des champs plus traditionnels de l’histoire de la pensée.

La présidence de la matinée du 16 février a été assurée avec son autorité habituelle par Charles Porset (Sorbonne). Après que Daniel Droixhe ait traité de certains aspects de l’idée de bonheur au dix-huitième siècle, Anne Thomson (Paris) a abordé dans le domaine de l’anthropologie un des thèmes dominants de la réunion : l’influence du «climat» et des conditions environnementales sur les «races humaines» et leur développement culturel. Les comptes rendus de la Critical Review et de la Monthly Review ont été particulièrement exploités, à propos des ouvrages de William Robertson, William Falconer, etc. La question d’une telle influence — posée par Condillac sur le thème du «Corneille américain» — est également intervenue dans l’exposé d’Alexandre Stroev (Paris) sur l’image de la Russie dans L’Esprit des journaux. Jacques De Decker (Bruxelles) dressa quant à lui le tableau des modalités générales qu’emprunte la critique quand elle rend compte, dans la presse, d’une production littéraire. Les cas choisis constituaient, notamment pour des étudiants de littérature française, dont on aurait souhaité qu’ils soient plus nombreux, des cas d’école : Choderlos de Laclos, Beaumarchais, Goethe, Sterne.

L’histoire des politiques et des cultures nationales, telles que représentées dans la presse, a donné lieu à un panorama de l’état de l’Europe dans la seconde moitié du siècle des Lumières. Cette séance du lundi après-midi fut présidée par Catriona Seth (Nancy) avec l’entrain et la maîtrise de la culture des Lumières que connaissent ceux qui la côtoient à la Société française d’étude du dix-huitième siècle. En entrée, Jean-Daniel Candaux employa toute son éloquence et sa connaissance intime de la patrie de Jean-Jacques Rousseau pour reconstruire la genèse du mythe d’une Suisse où vertu et simplicité règnent sur le fond d’une nature aux charmes préromantiques. Ceux-ci prirent une couleur toute germanique avec la communication de Gérard Laudin (Paris), où la nostalgie du «bonheur champêtre» du Suisse Gessner cédait la place aux souffrances amoureuses du jeune Werther. Gérard Laudin, développant un des thèmes favoris de sa recherche, montra bien la part prise par la presse, notamment allemande, dans la construction de cette «littérature du monde» appelée par Goethe.

L’exposé de Marian Skrzypek (Varsovie) sur une Pologne déchirée a permis quant à lui une confrontation avec la politique et l’état moral de l’empire de Catherine II évoqué par Alexandre Stroev, non sans quelques détours par la figure de cosmopolites tels que Casanova. Le tableau a été complété pour le Danemark par Thomas Bredsdorff (Copenhague). Celui-ci a soumis à une critique s’appuyant sur une cartographie précise des récits de voyageurs prenant quelques libertés avec la réalité. L’exposé de Thomas Bredsdorff, en anglais, fut traduit à sa demande en français — un exercice dont Catriona Seth s’acquitta illico presto d’une manière qui souleva les applaudissements du public!

Le mardi après-midi, la communication d’Étienne Famerie (Liège) emmena ce public, demeuré fidèle, dans un véritable voyage au Levant à propos du compte rendu des Lettres sur les Grecs anciens et modernes de Pierre-Augustin Guys. L’étude, très fouillée, proposait une sorte d’«essai sur les mœurs» à la manière de Lafitau. Alliant observations sur le terrain et érudition d’antiquaire, bien des passages de la relation de P.-A. Guys cités par L’Esprit des journaux trouveraient facilement leur place dans une anthologie de textes portant sur les cultures du monde.

On regrettera que Nadine Vanwelkenhuyzen, souffrante, n’ait pas pu, comme elle l’avait fait lors du colloque précédent, proposer sa lecture très documentée de la place qu’occupe l’Italie dans le périodique. Elle nous promet une contribution approfondie pour les actes du colloque.

La séance du matin de la deuxième journée, présidée par Françoise Tilkin, s’ouvrit sur une communication d’Anne-Marie Mercier-Faivre (Lyon) qui, se référant notamment à celle de Jacques De Decker, proposa une analyse méthodique des discours suscités par la découverte de la «fée électricité». Robert Halleux montra, avec sa clarté et son sens pédagogique habituels, combien l’âge des Lumières fut riche en inventions trouvant leur écho dans L’Esprit des journaux. Le rôle qu’y joua l’ingenium principautaire — on ne s’en étonnera pas — reçut ici une place d’honneur, rappelant aux Liégeois le brillant passé scientifique des savants du pays, et particulièrement de ceux liés à l’histoire de la Société Libre d’Émulation. Sur un registre voisin, Muriel Collart (Liège) traita des progrès de l’agronomie à propos de trois questions : le commerce des grains, les bestiaux face aux épizooties et aux crises fourragères, et la culture de la vigne. La relation des débats suscités par la doctrine physiocratique ou la politique de Turgot fut ponctuée de références littéraires à Berquin, La Harpe, Saurin, etc.

Il fut aussi question de l’Émulation — on ne s’en étonnera pas davantage — à propos de la communication de Thérèse Malengreau (Bruxelles) qui, au pied levé, accepta d’évoquer les références à Grétry dans L’Esprit des journaux, en remplacement de N. Masson (Poitiers). Cette dernière, avec laquelle le GEDHS a établi d’actives relations depuis sa création, était malheureusement empêchée de participer à notre colloque par des problèmes familiaux. L’exposé de Thérèse Malengreau, romaniste et concertiste, donna l’occasion d’entendre et de voir à l’œuvre la soprano malmédienne Sophie Karthäuser, dans un extrait du film d’Olivier Simonnet La petite musique de Marie-Antoinette (2006). On ne peut penser à Grétry sans songer à Marmontel. Celui-ci figurait, avec Lemierre, aux côtés de Roucher ou «Rocher» dans la communication que Marie Breguet consacra au poète des Mois. L’exposé, soigneusement inscrit dans le cadre du colloque et l’histoire littéraire locale, apporte un éclairage renouvelé sur une des questions qui intéressent particulièrement le bibliographe : l’édition de l’œuvre par Lemarié, gendre de Denis de Boubers — une question à laquelle Lucienne Strivay avait consacré autrefois une étude écrite «de main d’ouvrier».

La séance du mardi après-midi, dont la présidence fut assurée par Bruno Demoulin (Liège), nous rapprocha en effet du pays de Liège, ou plus précisément du marquisat de Franchimont et de l’ouverture vers le monde germanique. Bruno Bernard (Bruxelles) présenta la traduction journalistique de la réalité spadoise, sous ses principaux aspects : thématique médicale, tourisme, politique, littérature… L’horizon culturel des bobelins était-il quelque peu limité aux promenades et aux jeux du Wauxhall? La question reste ouverte. Un autre exposé mettant en valeur la richesse et la complexité des échanges culturels qui animent la tradition locale fut celui de Pierre-Marie Gason sur les liens unissant la principauté et l’Allemagne, de la Renaissance au dix-neuvième siècle. Le domaine de la presse était ici étendu vers la Gazette de Cologne et celle de Liège, tandis qu’étaient tirées de l’obscurité des personnalités comme celle de Charles Millon, préfacier des œuvres du libertin Du Marsais. Enfin, Daniel Jozic relatait, avec toute la rigueur à laquelle nous a habitués l’éditeur des lettres du prince-évêque Velbruck, les soubresauts de L’Esprit des journaux « entre tourmente et désespérance (1793-1800) ». On attend avec impatience la parution de son ouvrage sur le règne de Jean-Théodore de Bavière, qui ne manquera pas de relancer la recherche sur un règne épiscopal encore mal connu, sous bien des rapports.

Dans un colloque sur les échanges culturels, le plus franc dialogue entre participants ne pouvait faire défaut. Pol-Pierre Gossiaux, Pierre-Marie Gason, Charles Porset et d’autres se signalèrent particulièrement à cette occasion. Le débat se poursuivit souvent — avec des accents principautaires parfois très animés — lors des agapes qui réunirent à plusieurs reprises les orateurs étrangers et les membres du Groupe d’étude du dix-huitième siècle Ceux-ci furent rejoints par Guillaume Hulin, attaché scientifique de l’Ambassade de France en Belgique ainsi que par des collègues appartenant à l’Université catholique de Louvain et à l’Université de Mons-Hainaut.