Tradition manuscrite, transmission et autorité en Islam
La présence, à Liège, de ce qui est la plus importante collection de manuscrits en écriture arabe de Belgique fait que l’étude de la tradition manuscrite est une des priorités du service depuis le début des années 90. L’essentiel des projets qui ont été développés en son sein depuis lors ont pour point d’ancrage les manuscrits, projets qui font du service un centre de référence pour les études codicologiques et paléographiques dans le domaine islamique.
Souvent méconnus, les manuscrits en écriture arabe conservés dans diverses institutions publiques belges méritent d’être portés à la connaissance du plus grand nombre. Le meilleur moyen pour y parvenir reste le catalogue détaillé où les aspects essentiels du texte et de son support sont présentés avec rigueur. Le projet a pour but de publier l’ensemble des manuscrits conservés dans les institutions publiques (fédérales ou régionales). Le volume d’inventaire pour la collection liégeoise sera prochainement disponible.
Publications relatives au projet
Fort de son expérience avec les manuscrits holographes d’al-Maqrīzī et s’appuyant sur les résultats prometteurs obtenus dans le cadre des recherches menées sur la méthode de travail de cet auteur, le service a élargi le champ aux manuscrits qui ont pour caractéristique d’être de la main même de l’auteur du texte qu’ils contiennent, qu’il s’agisse de brouillons, de mises au net ou encore de carnets de notes préparatoires. Ces manuscrits d’auteurs autographes ou holographes ont peu attiré l’attention des chercheurs jusqu’à présent. Le but de ce projet est de répertorier tous les manuscrits appartenant à cette catégorie. Ce répertoire rendra évidemment d’immenses services aux éditeurs de textes qui pourront ainsi localiser en très peu de temps les copies autographes qui doivent être, sinon à la base, à tout le moins considérées, pour toute édition critique digne de ce nom. Il permettra également d’identifier de nouvelles copies autographes grâce à la comparaison des écritures. Mais il sera surtout utile pour élaborer un système précis d’analyse des écritures d’auteurs: des albums paléographiques, assortis d’études des écritures au fil du temps pour un même auteur, seront progressivement publiés.
Al-Ṣafadī (696-764/1297-1363) est l’un des érudits les plus importants de l’époque mamelouke. Nous avons la chance d’avoir préservé plusieurs volumes de son carnet de lecture personnel, sa Tadhkira. Al-Ṣafadī notait dans ces carnets tout ce qui, dans ses lectures, lui semblait digne d’intérêt, que ce soit par rapport à ses travaux en cours ou à venir, ou à ses goûts littéraires personnels. Par ailleurs, il datait ses carnets et donnait parfois la source de ses lectures. Ces cahiers constituent dès lors des documents exceptionnels reflétant son activité de lecteur et la toute première phase de sa méthode de travail, sans parler des textes aujourd’hui disparus dont ils sont parfois le seul témoin. Et pourtant, ils n’ont jamais été étudiés…
Ce projet de recherches, financé par le FNRS (mandat de chargée de recherches d’Élise Franssen), vise principalement à donner l’image la plus précise possible de la méthodologie d’al-Ṣafadī. Il nous sera possible d’approcher ses stratégies de lecture (que lit-il à quel moment de sa vie, de son activité scientifique ?), ses méthodes de prise de notes (que retient-il de telle lecture ? Comment utilise-t-il ses notes dans ses propres ouvrages ? Cite-t-il ses sources ?), en confrontant ces carnets aux ouvrages lus et publiés par al-Ṣafadī.
Ces résultats seront comparés à ce que l’on sait de la méthode de travail d’un autre auteur important de la période mamelouke, al-Maqrīzī. À terme, nous voudrions obtenir une idée précise de la façon dont les savants construisaient le savoir à une époque de grande vivacité intellectuelle, où de volumineux ouvrages savants sur tous les sujets étaient publiés à un rythme soutenu. Comment faire pour jongler avec tant de références ? Le savoir se transmet-il toujours lors de sessions de lecture à haute voix, ou les livres jouent-ils désormais le premier rôle ? Quelles sont les différentes étapes de la production scientifique à l’époque, depuis l’heuristique jusqu’à la « publication » (au sens premier du terme) d’un ouvrage ?…
En outre, nous espérons pouvoir affiner notre connaissance de la personnalité d’al-Ṣafadī : ce que nous découvrirons de sa méthode de travail y contribuera ; par ailleurs, une autre facette de l’homme, plus intime, nous est directement accessible par sa Tadhkira : ses goûts littéraires et leur évolution au fil du temps.
Enfin, au moins un volume holographe de la Tadhkira d’al-Ṣafadī nous est parvenu. Ce manuscrit constitue un témoin direct du matériel qu’al-Ṣafadī avait à sa disposition (encres, papier, types de cahier, …) ; il s’agit aussi d’un bon échantillon de son écriture. Ces recherches revêtent donc un intérêt certain pour l’avancée de nos connaissances en codicologie et paléographie des manuscrits en écriture arabe également.