Présentation

Convaincue du rôle de premier plan joué dans l’histoire des arts et dans la diffusion des idées, et ce tout spécialement à l’ère des Lumières, par la défunte principauté épiscopale de Liège, l’érudition locale s’est déjà abondamment intéressée au Journal général de l’Europe qu’y publia de 1785 à 1790 le célèbre Pierre-Henri-Marie Lebrun-Tondu, dit Pierre Lebrun. Né à Noyon, tour à tour ecclésiastique défroqué, soldat déserteur, théoricien physiocratique, journaliste et écrivain politique plus que prolifique, cet extraordinaire personnage arrive à Liège en 1781 et rentre en France en 1791 pour fuir l’éventuelle vindicte du Prince César-Constantin de Hoensbroech. Adepte enthousiaste des idées révolutionnaires, il finira par y décrocher le poste de ministre des Affaires étrangères après le Dix Août, se fera l’organisateur du Comité des Belges et Liégeois Unis avec le banquier Walckiers, le chantre de l’annexion, avant d’être expédié à la guillotine en septembre 1793 par son ancien condisciple Robespierre.

Son activité journalistique débordante ne s’est pas contentée de recenser et de diffuser un hochepot d’informations en maniant comme tant de ses contemporains les ciseaux et le pot de colle. Pierre Lebrun a souvent tenté des explications raisonnées à la lumière de ses propres convictions. Sa feuille tri-hebdomadaire à pagination continue était destinée à être reliée en volumes trimestriels, ce qui en apparente davantage la collection à une série de réflexions sur la politique internationale et les troubles internes des pays européens qu’à une compilation journalistique de nouvelles diverses. Il l’accompagne des volumes de l’éphémère Bibliothèque raisonnée de Littérature et de Sciences (1786-87), d’Annonces, articles et avis divers et de Pièces justificatives. Lebrun jouera un rôle non négligeable dans l’histoire de l’imprimerie et du commerce de la librairie à Liège, Herve, Maastricht et Paris, ses sièges éditoriaux successifs au gré des frontières institutionnelles à placer de toute urgence entre presse et répression. À Liège, il invoque la protection d’Albert de Saxe-Teschen, gouverneur général des Pays-Bas autrichiens ; à Herve, il passe de l’admiration pour les réformes joséphistes à l’opposition à l’Empereur, ce qui, après une tentative de créer un organe de langue allemande, rendra impératif un transfert à Maastricht, avant de revenir dans la Cité Ardente de l’Heureuse Révolution, puis de gagner Paris où son Journal Général de l’Europe, fusionné avec le Mercure National et Étranger, paraîtra jusqu’en août 1792.

Homme de convictions personnelles bien ancrées, Lebrun a erré au gré d’une actualité précipitée : retombées immédiates de l’indépendance américaine, troubles de la guerre de succession de Bavière, projet viennois de donner aux Wittelsbach la souveraineté sur les Pays-Bas autrichiens en échange de l’annexion de la Bavière, guerre russo-turque et déferlement habsbourgeois sur les Balkans, affrontement dans les Provinces-Unies entre Orangistes et Patriotten, révolutions brabançonne, liégeoise, française, l’actualité de ces années est aussi riche en événements que fertile en réflexions. L’Europe de Pierre Lebrun est une Europe en mouvements derrière lesquels il dénonce souvent la main de la perfide Albion ou de l’arrogante Prusse. Son attitude envers ces deux pays se sépare nettement de l’admiration des Philosophes pour ce qui vient d’Outre-Manche et pour Frédéric II.