Le « refuge des Savants », Vallée des Merveilles, Mont-Bego | 04/2017
Juché à 2130 mètres d’altitude dans la Vallée des Merveilles, le « Refuge des Savants » dispose d’un superbe emplacement, à flanc du Mont-Bego, la montagne sacrée autour de laquelle furent gravées 30000 roches. Il fut édifié en 1923 pour héberger les scientifiques venus décrypter les mystérieux vestiges protohistoriques et est aujourd’hui menacé de destruction…
Le refuge dit des « Savants », implanté en 1923 par Piero Barocelli, Superintendant des Antiquités de Ligurie, du Piémont et de Lombardie, a été construit dans un secteur où peu de roches sont gravées, afin d’abriter les équipes qui s’y rendent chaque année pour étudier les gravures de l’Âge du Cuivre et du Bronze Ancien de la région du Mont-Bego.
Ailleurs dans le monde, dans des zones similaires où des roches gravées ou peintes datant de l’époque préhistorique sont nombreuses, des lieux d’accueil ont également été implantés pour accueillir les archéologues venus y étudier…
Ce refuge emblématique fait aujourd’hui partie de l’Histoire des Sciences. Depuis sa construction, il a accueilli toutes les équipes de chercheurs qui ont étudié les roches gravées de la région du Mont-Bego, ainsi que de nombreux chercheurs spécialistes de l’étude de l’art rupestre protohistorique, venus du monde entier.
Au cours des années, de nombreux préhistoriens spécialistes des gravures rupestres préhistoriques sont venus s’y abriter, tels le Professeur Lord Renfrew, de l’Université de Cambridge, le Professeur Emmanuel Anati, Directeur du Centre Camuno di Studi Prehistorici de Capo di Ponte près de Brescia (Val Camonica), Italie, le Professeur Robert C. Bednarik de l’Australian rock Art Reserach, Australie, le Professeur Ulf Bertilsson du National Heritage Board de Stockholm, Suède, le Professeur Valdimir Chumkin de l’Institut d’Archéologie de Saint Petersbourg, Russie, le Professeur Christophe Chippindale de l’Université de Cambridge, Angleterre, le Professeur Sang-Mong Lee du Museum of Kyungpool National University de Bukgu Dalgu, Corée, ou encore le Professeur Marcel Otte de l’Université de Liège, Belgique.
Diverses personnalités et personnages illustres y ont également séjourné, tel le Roi Victor Emmanuel d’Italie, avant la Seconde Guerre mondiale, alors qu’il était encore en territoire italien, et depuis, son Altesse Sérénissime le Prince héréditaire Albert de Monaco, la Reine Paola de Belgique, plusieurs ministres de la République française, dont Hubert Védrine, Ministre des Affaires Étrangères, Christian Estrosi, alors Président du Conseil Général des Alpes-Maritimes.
Actuellement dans le monde, sur tous les grands sites d’art rupestre préhistorique, en Algérie, en Suède, en Afrique du Sud ou encore en Australie, des structures similaires ont été installées afin d’accueillir les chercheurs et faciliter leur étude in situ.
Depuis 1967, avec les chercheurs et les étudiants-chercheurs de notre laboratoire de l’Institut de Paléontologie Humaine et la collaboration d’autres de diverses universités françaises et étrangères, nous avons relevé plus de 4150 roches gravées sur lesquelles ont été inscrits, à l’âge du Cuivre et du Bronze Ancien, plus de 100000 signes, dont plus de 40000 sont des gravures représentatives. Tous ces relevés ont été enregistrés dans la base de données « Matériel Paléontologie et Préhistorique », consacrée au Mont-Bego.
Chaque été, l’Institut de Paléontologie Humaine utilise ce refuge, actuellement propriété de la Ville de Tende, pour héberger les scientifiques qui viennent poursuivre leurs recherches sur les gravures protohistoriques de la région. Tout au long de l’année, nous y entreposons des ouvrages, des documents et des équipements destinés à la recherche.
Il serait difficilement concevable de poursuivre des travaux scientifiques sur les gravures rupestres de la région du Mont-Bego sans la préservation de ce local approprié, où les chercheurs peuvent être hébergés et travailler. Pour des raisons d’hygiène, de sécurité, d’esthétique et de respectabilité, ce refuge doit évidemment être rénové. C’est dans ce but, qu’il y a plusieurs années, nous avions établi un dossier visant à proposer sa réhabilitation.
La disparition du « Refuge des savants », serait une catastrophe pour la poursuite de l’étude des gravures, une proto-écriture idéographique, qui nous transmet les préoccupations économiques et les mythes cosmogoniques des premiers peuples métallurgistes des Alpes-méridionales.
Professeur Henry de Lumley
Membre correspondant de l’Académie des Sciences & de l’Académie des Inscriptions et Belles Lettres
Directeur de l’Institut de Paléontologie Humaine, Fondation Albert Ier Prince de Monaco