ABSTRACT: Des restes de cinq individus datant d’environ 315 000 ans, trouvés au Maroc, pourraient repousser de 100 000 ans l’âge de notre espèce et plaideraient pour son origine « panafricaine »…

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Jebel Irhoud : La découverte qui bouleverse l’histoire d’« Homo sapiens » ? | 06/2017

Des restes de cinq individus datant d’environ 315 000 ans, trouvés au Maroc, pourraient repousser de 100 000 ans l’âge de notre espèce et plaideraient pour son origine « panafricaine », lit-on dans Le Monde !

« Le plus ancien représentant connu de notre espèce, Homo sapiens, vivait il y a environ 315 000 ans au Maroc. La découverte, due à une équipe internationale dirigée par Jean-Jacques Hublin (Institut Max-Planck d’anthropologie évolutionniste de Leipzig et Collège de France), est exceptionnelle. Elle déplace nos origines vers le nord-ouest du continent africain, alors que les fossiles les plus anciens trouvés jusqu’alors provenaient d’Afrique du Sud et de l’Est. Et elle les fait considérablement reculer dans le temps, puisque les premiers ossements humains jusqu’alors unanimement reconnus comme anatomiquement modernes, découverts en Ethiopie, avaient moins de 200 000 ans… » | Le Monde, par Hervé Morin, 07/06/2017

Bémol à Irhoud | par Marcel OTTE

Il semble parfois nécessaire d’apporter des mises au point relativement aux travaux qui parviennent aux journalistes via les revues, et tout au moins de solliciter des avis extérieurs, avant d’en diffuser la substance vers une audience non préparée à en estimer les mécanismes, souvent de nature idéologique. À cet égard, relisez Flaubert, et son « Dictionnaire des idées reçues » ; en exergue il a placé : « Il y a à parier que toute idée publique, toute convention reçue, est sottise, car elle a convenu au plus grand nombre ».
En matière d’évolution humaine, ces dogmes agissent avec une particulière violence, soyez-y attentif ! La production réputée scientifique y échappe d’autant moins qu’elle se présente, telle la Bible naguère, comme la Vérité : il s’agit donc d’une affaire dangereuse. Et il conviendrait de ne pas confondre, par exemple, la découverte d’une nouvelle particule au Japon avec celle d’une humanité progressive en Afrique. La première est libre et contrôlée par les débats, la seconde est choisie d’avance et imposée sans controverse, via les revues puis par les journalistes…

Jebel Irhoud | Facial reconstitution | J.-J. Hublin

Les médias répercutent avec candeur le matériau publié dans une revue scientifique anglophone, peut-être de façon unanime, peut-être même avec conviction. Le devoir intellectuel impose d’y apporter une clarification quant aux enjeux, aux concepts et aux tendances si spectaculairement claironnés. Les méthodes et les résultats des datations radiométriques paraissent parfaitement maîtrisés, et en séquence cohérente, c’est du beau travail ! Mais que faire du reste ? Voyez le crâne : bourrelets sus orbitaires, face prognathe, massivité générale : découvert partout ailleurs qu’en Afrique il serait relégué aux états archaïques de l’évolution humaine. Par exemple en Chine : Dali, Maba et bien d’autres en Asie présentent les mêmes caractères évolutifs, mais ne furent pas découverts au bon endroit !

Apparemment, faut-il rappeler, les tendances à la « modernisation » sont planétaires, convergentes, et simplement mécaniques. Dès la bipédie acquise, ils en prolongent les effets vers la gracilisation, partout et toujours, ce processus est encore en cours aujourd’hui. Rechercher une origine géographique à cette tendance universelle relève de l’idéologie, une fois encore (cette « tendance » dogmatique, elle, est plus nette encore). Voyons les critères culturels ! On nous vend le MSA comme évolué, donc on établit la perverse liaison entre anatomie et aptitudes cognitives, comme dans les pires moments de l’histoire récente, tout en confondant au passage aptitudes et réalisations, peut-être involontairement, peut-être pas. Or, les néandertaliens d’Europe (les attardés donc) possèdent la plus totale gamme d’aptitudes et de réalisations dont ont disposé par la suite les hommes modernes européens. Simplement, leurs traditions furent profondément distinctes, pas leur cognition. Ici, ces auteurs se fondent (sans le dire) sur les schémas martelés depuis l’enfance, et qui nous satisfont si volontiers : les néandertaliens étaient de sombres brutes épaisses, sans langage et sans prestige. Tout démontre l’inverse : sépultures, prévisions, habitats, chasses, colorants, décorations, technologies, par exemple. La réhabilitation des néandertaliens est totale depuis le 19e siècle.

Que cherchent les auteurs d’Irhoud, via les médias tonitruants ? Trouver plus de financements encore pour leur labo à Leipzig ? Faire valoir les sciences dures sur les sciences humaines ? Imposer le dogme d’une glorieuse origine africaine, d’une humanité rayonnante de potentialités à offrir au monde ? Un tel déballage pour des contenus conceptuels aussi contestables et fragiles relève d’un mépris pour l’intelligence des lecteurs, fascinés par les répétitions en boucle des mêmes fantasmes. Et nous touchons là à l’inverse des buts avoués poursuivis par la recherche authentiquement scientifique : rechercher, comme un avocat, à avoir raison, non à atteindre la lucidité, dans une épreuve quotidienne, tellement plus difficile, mais moins spectaculaire. Et dans notre Monde, qui  désignera cette dérive, gagnée sur l’opinion la plus large et la plus abusée, sinon nous-mêmes, préhistoriens, tenus de balayer devant nos portes afin de pouvoir se regarder en face ?

Marcel Otte

Maba

Dali & Maba, en Chine, ainsi que bien d’autres en Asie présentent les mêmes caractères évolutifs, mais ne furent pas découverts au bon endroit !

Dali